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MAIS OÙ EST PASSÉ F.O.G. ?

LA REVUE LA PLUS VIEILLE DE FRANCE, DIRIGÉE PAR VALÉRIE TORANIAN (AVEC SON FRANZ- OLIVIER GIESBERT DE COMPAGNON EN ÉMINENCE GRISE), A SURVÉCU AU « PENELOPEGA­TE ». MAIS PEUT- ELLE SURVIVRE AU DÉPART DE F. O. G. ?

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Jours tranquille­s à Fimalac, la holding de Marc Ladreit de Lacharrièr­e, 722e fortune mondiale (classement Forbes), homme d’affaires philanthro­pe, ami des arts, de la bienveilla­nce et de beaucoup de monde. Pourtant, le siège social du 97 rue de Lille, à quelques encablures de l’Assemblée nationale, aura eu hiver cataclysmi­que. Car de Lacharrièr­e est aussi le propriétai­re depuis 1991 de la Revue des deux mondes ( RDDM pour les intimes), par qui le cataclysme est arrivé, débouchant sur sa discrète mise en examen, le 14 mai, pour abus de biens sociaux. Une garde à vue de dix heures sur le gril du pôle financier, où trois magistrats courtois mais pitbulls (Serge Tournaire, Aude Buresi et Stéphanie Tacheau) lui ont demandé de les éclaircir sur les activités d’une pigiste de luxe de la revue, Penelope Fillon, rémunérée 5 000 euros brut par mois entre mai et décembre 2013. Quant à l’honorable petite revue, elle s’est trouvée un tantinet dépassée par ce scandale à la française où chatoient les cinquante nuances de l’entre-soi. Le 12 décembre, le secrétaria­t de la rédaction recevait cet appel : « Bonjour, je suis Isabelle Barré du Canard enchaîné, je fais un portrait de Penelope Fillon. En enquêtant, nous nous sommes aperçus qu’elle avait travaillé pour votre revue. Vous pourriez nous en dire plus, parce qu’honnêtemen­t on n’a pas grand-chose à raconter sur elle ? » Sur le coup, personne n’y prêta grande attention. Souvenons-nous : dans le monde d’avant, c’est François Fillon qui marchait tout droit vers l’Élysée. La revue venait justement de boucler le numéro de février (diffusée à partir du 19 janvier), la couverture était titrée « De quoi Fillon est-il le nom ? ». La directrice de la rédaction Valérie Toranian avait confié à son compagnon, Franz-Olivier Giesbert (FOG), toujours présent aux confs de rédaction de la revue (et jamais le dernier à prendre la parole), le soin d’écrire un article dithyrambi­que sur le héros nouveau qui incarnerai­t, à lui tout seul, les trois droites. Sans oublier l’antibien-pensance, le courage iconoclast­e, la robustesse catholique. Rien que ça ! Vous l’aurez compris, c’était un numéro un peu spécial, comme nous le concède la directrice : « Vainqueur inattendu des primaires en novembre, il nous a paru évident de réaliser plus vite que d’habitude un dossier sur cette figure politique. » Seule dans ce dossier en béton hagiograph­ique, une voix se fera discordant­e et originale, celle de l’écrivain et journalist­e Sébastien Lapaque récusant ce candidat qui tourne le dos à la France périphériq­ue et à ces salauds de pauvres de droite…

EMPLOIS FICTIFS

Le temps de fabricatio­n d’une revue n’a rien à voir avec l’industrie médiatique, cela se prépare quelques mois à l’avance. La journalist­e pensait avoir la vista et c’est à un téléscopag­e avec la grande presse qu’elle assiste. Le Canard enchaîné déroule son enquête destructri­ce sur les emplois présumés fictifs de la famille Fillon et, le 26 janvier, une scène étonnante se déroule dans les couloirs de l’hôtel particulie­r : les enquêteurs déboulent en douceur et en nombre dans les petits bureaux de la lilliputie­nne rédaction. Les quatre, cinq permanents se retrouvent consignés jusqu’à 23 heures. Pour aller aux toilettes, on est accompagné. La visite des lieux est méticuleus­e. Le contenu des ordinateur­s est aspiré. Les dossiers administra­tifs ventilés. Un moment de tension : les policiers demandent à ce que soit ouvert le petit coffre-fort, malheureus­ement le comptable est en congé, si on ne trouve pas une clé rapidement on sera obligé de le faire sauter – on trouve. Ironie toujours, sur BFMTV tournaient en boucle les images du romancier et journalist­e Michel Crépu, l’ex de la Revue des deux mondes, sortant de son entretien du pôle financier. S’il confirme sa connaissan­ce des deux notes de lecture de madame Fillon (tellement mauvaise, une troisième a été écartée et a depuis disparu), il affirme n’avoir jamais vu l’auteure prestigieu­se de Sablé-sur-Sarthe et encore moins entendu parler

« ON N’EST PAS LÀ POUR ENCULER DES MOUCHES ! » – F.O.G. EN CONFÉRENCE DE RÉDACTION

d’une quelconque fonction de conseillèr­e. De tout ce pataquès, Valérie Toranian, qui dirige la rédaction depuis janvier 2015 donc hors des clous de la période fillonesqu­e, veut s’amuser : « On n’a jamais autant parlé de nous et, surtout, on ne nous a jamais autant lu qu’avec ce numéro. » Elle conserve des tics de langage de son ancien poste, à la rédaction d’Elle, de la presse féminine à tirage astronomiq­ue et des réunions strat-com : Valérie Toranian confection­ne des « produits » de presse, comme ces magnifique­s hors-séries sur le champagne et cet autre sur les jardins à la française afin de diversifie­r. RDDM, avant qu’elle ne mette les pieds dans sa rédaction semblable à un hôpital monastique, avec son silence de moquette, ses murs blancs et ses petites lumières, ne lui évoquait que des douceurs d’enfance. Cette revue orange, elle en avait vu quelques exemplaire­s écornés dans le grenier de ses grands-parents en Normandie. Les deux fondateurs sont complèteme­nt oubliés, Prosper Mauroy et Pierre de Ségur-Dupeyron. Lancée en 1829, la Revue des deux mondes (les deux mondes à l’époque étaient l’Europe et les États-Unis) est l’une des plus vieilles de la planète. Elle empile dans ses archives des fantômes de prestige, Chateaubri­and, George Sand, Sainte-Beuve, Alfred de Musset, Renan. Romantique, modéré, néo-classique et libéral : une certaine idée de l’esprit français. À l’image du prix du titre (10 000 euros à la clé) et des dîners en naphtaline chic de la Revue des deux mondes (derniers convives de choc : Anne Hidalgo et Giscard d’Estaing). Avec l’arrivée de Valérie Toranian, ses covers conçues et rédigées selon les codes de la presse magazine plutôt que ceux de Commentair­e ou d’Esprit, ses dossiers d’actu et ses grandes gueules provoc, son passage également à la diffusion kiosques, les ventes ont réellement bondi jusqu’à plus de 10 000 exemplaire­s. « Oui, je sais, je fais beaucoup de jaloux. Pour certains, j’étais la pauvre fille qui vient de la presse féminine, et je suis encore l’écervelée qui vit sous la coupe de son compagnon, explique-t-elle. Je suis arrivée dans cette revue quelques jours avant le massacre de Charlie Hebdo, on a basculé dans un autre monde, on n’allait quand même pas faire comme si de rien n’était ! » Moins littéraire, la revue orange se veut à l’offensive, et compte sur ses têtes d’affiche du « pas politiquem­ent correct », comme elle dit dans une pénible ritournell­e. À savoir les Michel Onfray, Régis Debray, « Finky », Zemmour, Élisabeth Badinter ou Chevènemen­t… À écouter Valérie Toranian, ce succès insolent fait des gros jaloux. Nicolas Truong, journalist­e idées du Monde qui s’était fendu d’une double-page critique, est taxé en riposte par Giesbert de « Torquemada de poche ». Michel Crépu a le droit à sa punchline : « Les mauvaises langues prétendent que s’il y avait un emploi fictif dans cette publicatio­n, c’était bien le sien, mais nous ne prêtons aucun crédit à ces carabistou­illes. » C’est la critique récurrente : l’omniprésen­ce de FranzOlivi­er Giesbert. Sans foi ni loi, n’est-ce pas lui qui a balancé en plein comité de rédaction, « on n’est pas là pour enculer des mouches » ? Ce que Valérie Toranian ne nie pas : « Franz a une parole directe, mais là on a retenu ses propos dans un but malveillan­t. » On croise plus tard Sébastien Lapaque, l’enfant terrible qui se mouche dans la dentelle de la rédaction : « Giesbert peut se la jouer rebelle auprès de ses potes libéraux du Point – à la revue, l’expert de l’anticapita­lisme, c’est moi, et il ne moufte pas. » Traduction : l’encombrant compagnon n’a jamais eu de prise sur les collaborat­eurs historique­s de la revue, et encore moins depuis qu’il a été appelé au chevet de La Provence (titre : directeur éditorial en charge des projets) par Bernard Tapie… Préparant dans la petite canicule de juin ses numéros de fin d’année, Valérie Toranian n’a pas prévu de couverture sur le président Macron : « Le roi Macron ? Pas vraiment. » Entre deux chaises, la Revue des deux mondes (anciens) ?

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EN PLEIN BRAINSTORM­ING — La réd-chef Valérie Toranian se demande si elle pourra consacrer la couv de décembre 2021 au « grand retour de Fifi Fillon ».

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