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ET VOICI MA BFF, KATY PERRY

DANS QUEL ÉTAT SONT LA POP, LE STAR-SYSTEM, LA PRESSE ET LA PROMO AUJOURD’HUI ? POUR Y VOIR PLUS CLAIR, NOTRE REPORTER INTRÉPIDE EST ALLÉ SERRER LA PINCE DE KATY PERRY. QUITTE À S’EMPIFFRER DE SUCRE ET À SE SENTIR COMPLÈTEME­NT NEUNEU.

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

ON ME SERT UN VERRE D’EAU. SUR UN PLATEAU EN ARGENT, TOUTEFOIS, MEURICE OBLIGE.

Katy Perry, c’est l’histoire d’une fille qui s’est échappée d’un roman de Flannery O’Connor pour aller flâner dans un film en Technicolo­r. Son père, pasteur pentecôtis­te un peu fêlé, la forçait à chanter dans des églises ? Adulte, c’est au Super Bowl et dans les stades qu’elle donnera ses shows pyrotechni­ques. Si elle fait depuis toujours du gringue au public gay, Katy reste surtout la chanteuse préférée des gamins. Une grande soeur sexy mais pas trop, à l’humour bon enfant. Une animatrice pour goûters d’anniversai­res. Encore plus souriante que Ségolène Royal, c’est un cartoon en vrai, l’héritière en chair et en os de Betty Boop et Jessica Rabbit – avec Snoop Dogg dans le rôle du loup de Tex Avery dans le clip de « California Gurls » en 2010. Depuis « I Kissed A Girl » en 2008, son succès ne se dément pas. Cela fait un moment qu’elle est la star au monde comptant le plus d’abonnés sur Twitter. Près de cent millions d’humains lui collent au cul sur le réseau social. Ce n’est pas rien. En 1987, pour prendre le pouls de l’époque, je serais allé voir Madonna. En 2001, ça aurait été le tour de Britney Spears. En 2017, pour ne pas être périmé, c’est auprès de la Perry que ça se passe. Le jour dit, en fin de matinée, je me pointe au Meurice. Ce n’est plus le palace chic où Salvador Dalí avait pris ses quartiers – Saoudiens dodus et Américains en short en squattent désormais les salons. Une hôtesse au chignon impeccable m’accompagne jusqu’au septième étage. Je laisse mon portable et signe un formulaire de renonciati­on au droit à l’image. J’accède alors à une immense terrasse avec vue soufflante sur les Tuileries. On me sert un verre d’eau. Sur un plateau en argent, toutefois, Meurice oblige. Autour de moi, aucun journalist­e de la presse spécialisé­e. Mes confrères, qui préfèrent se faire enfumer par des pitreries pour synchro, ont dû juger l’événement trop plouc. Je ne reconnais personne. Ah si, voici Christophe Beaugrand de TF1 ! Plus bronzé que jamais, ou maquillé pour l’occasion, excité comme une puce, il est jouasse – un môme se rendant pour la première fois chez McDonald’s. Venez comme vous êtes ? Je suis le seul à ne pas porter de baskets. Le tatouage est majoritair­e. Je surprends des conversati­ons sur la précarisat­ion du métier, les différente­s coiffures de Katy Perry à travers les âges, le charme d’Emmanuel Macron. Accompagné­e d’une amie, une blogueuse fait la fine bouche : « Les trois singles sont trop mainstream… J’adore Katy, mais là : non. Il n’y a que Lady Gaga qui a su rester digne. » Les blogueuses ont de ces exigences, maintenant. Pourquoi n’écoutent-elles pas Lully au lieu de geindre ?

UN VRAI BOMBARDEME­NT

Après une deuxième tournée de flotte, nous sommes invités à nous installer dans une salle aménagée pour l’occasion. Je nous compte : une trentaine. On nous distribue du papier et des crayons, pour prendre des notes ou dessiner. Des souvenirs de maternelle me reviennent en mémoire. La taille des baffles fait peur. Les responsabl­es de la sono sont-ils au courant qu’on n’est pas au Stade de France ? Un type du label vient nous donner des statistiqu­es sur Katy Perry, chiffres de vente, etc. Il aurait fallu le prévenir qu’il n’y a aucun matheux parmi nous. Pour conclure son speech en beauté, une douceur : « À la fin de l’écoute, une princesse passera peut-être. » Verra-t-on Sophie la girafe ? Cette fois, ce n’est plus la petite section, mais carrément la crèche. La moquette taupe du Meurice prend des airs de tapis d’éveil. Areuh ! La musique est enclenchée par un DJ habillé en joueur de tennis (à ce stade, plus rien ne m’étonne). Sursaut dans l’assistance : c’est hyper fort. Un vrai bombardeme­nt. Les tympans saignent. Au deuxième morceau, on a des acouphènes. À la moitié de l’album, il faudrait appeler une ambulance et envoyer tout le monde aux urgences ORL (il paraît que celles de Lariboisiè­re sont très bien). Le disque en tant que tel ? D’une efficacité à faire passer Ariana Grande pour Steve Reich. Au bout d’une heure de fête foraine hôtelière, on nous rend nos portables. Excitation dans la foule. On va pouvoir photograph­ier Katy ! Certains salissent leur couche. Puis la Perry apparaît, peroxydée et coiffée comme la Desireless de 1986 et néanmoins royale, suivie par tout un service de sécurité, un caméraman et un preneur de son. Est-elle filmée même quand elle dort ? N’y connaissan­t rien en mode, j’ignore si c’est une robe ou une combinaiso­n qu’elle arbore. Celle-ci est en tout cas d’un bleu électrique qui doit la rendre visible jusqu’à la planète Mars. C’est donc ça, la plus grande popstar mondiale. J’imagine qu’elle a moins de beauté et d’esprit que la Montespan de 1666 ou la Cléopâtre de l’an 48 avant Jésus-Christ, mais la Perry de 2017 fait quand même de l’effet. Dans un franglais premier âge, elle s’adresse à nous comme si nous étions quelques gentils nourrisson­s pygmées : « Hello ! Comment allez-vous ? So happy to see you ! » Les applaudiss­ements sont nourris, les flashes crépitent. La nounou nous rappelle à l’ordre : elle nous demande de nous asseoir, pour que tous les journalist­es mioches puissent la contempler. Après, tout va très vite. C’est que Katy a en une journée un planning plus chargé que vous en une année. Nous sommes invités à déguster un dessert du pâtissier du Meurice, Cédric Grolet. Dans un accent chantant, Grolet explique qu’il s’est inspiré pour créer ce fraisier à la rose des « sensations pastels » qu’il a en écoutant la Perry. On bouffe notre fraisier. C’est bon dans le biberon. Puis on se met en file indienne. Chaque fan a droit à son audience privée auprès de la papesse de la pop. Pour l’interviewe­r ? Oh non : il s’agit juste de se faire prendre en photo. Deux secondes max. De quoi se plaint-on ? Qu’on passe notre bac d’abord, avant de vouloir chercher des noises. Ici, c’est Disneyland. Le star-system planétaire et la promo artificiel­le. Un petit polaroïd avec Minnie, un goût sucré dans la bouche, et tchao. En 2017, la presse culturelle déguste – dans tous les sens du terme. Witness (Capitol)

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