UN DOIGT ADRESSÉ À HOLLYWOOD
Le garnement surdoué Neill Blomkamp inaugure sur le net son micro-studio, Oats Studios. Mais va-t-il vraiment, comme il en rêve, changer la face de l’industrie ciné ?
« Bon sang, mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?! » La page YouTube de Rakka compte à l’heure qu’il est un peu plus de deux millions et demi de visiteurs et à peu près autant de commentaires, la plupart écrits en lettres capitales, où la stupéfaction, nourrie à grands coups de « HOLY SHIT! », se dispute à l’interrogation, teintée, elle, d’une cargaison de « WTF? ». À vrai dire, personne ne sait exactement ce qu’est Rakka, pas même son auteur, Neill Blomkamp, qui s’amuse sur les réseaux sociaux à entretenir la confusion : « Soutenez-nous financièrement les gars, et vous en verrez plus ! » Mais plus de quoi au juste ? Plus de Sigourney Weaver en treillis façon Ellen Ripley septuagénaire ? Plus de lézards géants prêts à conquérir notre planète ? Plus de télékinésie maboule qui débouche sur des scènes d’action gargantuesques ? Plus de visions SF sidérantes fabriquées dans une indépendance absolue ? Plus de tout ça, certainement, oui, et d’ailleurs on en a bien besoin parce que Rakka, en l’état, ne dure que vingt minutes et se conclut pile là où on voudrait qu’il commence (le moment où ces salauds de lézards s’apprêtent à se faire botter le cul)... DÉCHARGE D’ULTRA-VIOLENCE Qu’est-ce que c’est que ce truc alors ? Le pilote d’une série qui cherche un financement ? Une bande-démo où figurent les meilleurs techniciens de notre époque ? Un doigt adressé aux exécutifs hollywoodiens qui ont privé Blomkamp de faire son Alien 5 ? Tout ce qu’on sait pour l’heure, c’est que Rakka est un court-métrage autofinancé et distribué gratuitement sur YouTube. Il vient inaugurer une anthologie, composée de films tout aussi courts, tout aussi gratuits, tout aussi autofinancés et tout aussi signés Neill Blomkamp, et qui est intitulée « Oats Studios– Volume 1 ». Rejoint très récemment par Firebase – une décharge d’ultra-violence et d’obsession Predator balancée en plein milieu du Vietnam 60’s, miam –, Rakka fout clairement la fessée, en termes de facture, de visions, de rythme et de portée mythologique, à 98 % de la production SF d’aujourd’hui. Qu’il déboule gratuitement sur le net, juste au moment où les salles de cinéma doivent se débattre contre les offensives de Netflix et la nullité de ce qu’elles auront à proposer cet été, n’a probablement rien d’une coïncidence. Blomkamp, son éternelle morgue, son micro-studio, son crew de techniciens surdoués et son anthologie gratos symbolisent, pile à l’heure, le re-façonnage monstre de l’industrie, l’envie de plus en plus pressante de tout faire péter et le goût des modèles économiques un peu absurdes (il faut par exemple passer par la plateforme de jeu Steam pour filer ses sous à Oats Studios) mais qui peuvent très vite faire mouche (les gamers se sont déja mobilisés pour le financer). Alors qu’est-ce que c’est au juste que ce « Volume 1 » ? La révolution qu’on attend tous, ou juste une manière d’occuper un petit génie au chômage ? Pas sûr d’avoir encore bien compris, mais s’il faut vraiment cinq euros pour changer à jamais la face d’Hollywood, ça serait con de ne pas essayer.