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RAGING BOULE (ET BILL)

RÉPUTÉ GUEULARD, FLAMBEUR ET SOUVENT TORDANT, CYRIL COLBEAU-JUSTIN AURA COPRODUIT UNE PALANQUÉE DE COMÉDIES TF1. NAVIGUANT DÉSORMAIS EN SOLO, L’HOMME DERRIÈRE BOULE & BILL PEUT-IL VRAIMENT METTRE SON CHARISME FRIME, SON RÉSEAU ET SON PEL AU SERVICE DE LA

- PAR FRANÇOIS GRELET PHOTOS ROMAIN COLE

« DANS RAGING BULL, IL Y A UNE PHRASE QUE J’ADORE : QUI VISE LES SOMMETS DOIT S’ATTENDRE AUX ABÎMES. » – CYRIL COLBEAU-JUSTIN

Le rendez-vous était fixé à 11 heures dans son resto du 8ème flambant neuf, le Noto, juste au-dessus de la salle Pleyel. Cyril Colbeau-Justin arrive avec une bonne demi-heure de retard, serrage de pogne franc et amical à toute l’assemblée, voix qui porte, grand sourire vissé aux lèvres. « L’endroit vous plaît ? C’est beau hein ? » La déco des restos où les plats se consomment pour 40 ou 50 balles pièce n’étant pas notre zone d’expertise, on fait comme si. « Ah oui, très beau. » Le Perrier citron offert par la maison est en tout cas parfait. Le Noto a l’air de lui tenir à coeur, à « Colbeau » – comme l’appelle la profession. Et immédiatem­ent apparaît chez lui ce mélange singulier d’arrogance nouveau-riche et de camaraderi­e prolo que les « talents » (comédiens et réalisateu­rs dans le langage ciné, ndlr) qui ont bossé à ses côtés ont pu expériment­er, visiblemen­t pour le meilleur comme pour le pire. L’idée sera donc de vérifier si le garçon est aussi fier des comédies popus qu’il produit, à un rythme d’enfer, depuis un peu plus de quinze ans que de son nouveau resto à la moquette impec’ et à la daurade paraît-il fameuse. Il nous renseigne direct : « Je prends ce métier très au sérieux. Dans Raging Bull, il y a une phrase que j’adore et qui dit en substance : qui vise les sommets doit s’attendre aux abîmes. Ça résume toute l’idée de la production à mes yeux, c’est un vrai motto ». Citation à se répéter en parcourant son long CV. Sur quinze ans de carrière à la louche, on y retrouve une cinquantai­ne de films, des méga-hits avec Kad Merad ( Mais qui a tué Pamela Rose ?), Dubosc ( Boule & Bill), Daniel Auteuil ( 36 quai des Orfèvres). Et des méga-bides avec les mêmes ( Mais qui a re-tué Pamela Rose ?, Pension complète, La Mer à boire). Un Onteniente, un seul ( Disco), pour bien montrer qu’on bouffe vraiment à tous les râteliers de la franchouil­le, une fresque scorsesien­ne et surfriquée à la mode de chez nous ( Cloclo) et un Guillaume Gallienne ( Les Garçons et Guillaume, à table ; bientôt Maryline) pour signaler à la profession qu’on peut aussi packager un truc césarisabl­e.

« SOCIÉTÉ À PART »

Une filmo qui compile, à deux ou trois exceptions près, les pires repoussoir­s du paysage local, mais qui, remise dans son contexte, n’est pas forcément pire que celle des producteur­s-stars de notre époque (les frères Altmayer, Alain Attal, Thomas Langmann…). Son côté bateleur et bonhomme le dissocie immédiatem­ent du profil HEC sinistre de la plupart de ses collègues de boulot. Colbeau n’est pourtant pas le symbole d’une résurrecti­on, celle du producteur aventurier, dispendieu­x et grande gueule. Il est juste un symptôme d’un mal qui ronge le cinéma français depuis Jean Girault : la culture du navet. On le rencontre cependant à un instant peut-être

décisif pour lui, où il s’apprête à faire « société à part », comme il dit, avec son ami et associé de toujours Jean-Baptiste Dupont – qui s’était offert le rôle du comptable discret dans leur ancien binôme et dont Colbeau aime encore citer les aphorismes. À 47 piges désormais passées, ce nouveau départ aura-t-il des allures de grand chemin rédempteur ? Hummmmm… À peine sortis du Noto, un truc nous frappe : Colbeau aura consacré la plupart de son temps et de son énergie à nous parler des films des autres plutôt que des siens. Ça peut se résumer en une phrase, la dernière qu’il nous aura lâchée : « Ma ligne éditoriale est simple : mon meilleur film c’est le prochain. » Un concept qui caractéris­e à la fois l’amnésie indispensa­ble et parfaiteme­nt néfaste à son métier. On oublie tout (surtout les flops) et on recommence.

COMÉDIES PRÉ-SAUCISSONN­ÉES

« Il faut savoir que producteur, c’est un métier assez éprouvant parce que chaque film est une entreprise différente : c’est comme être entreprene­ur et recommence­r à zéro après chaque projet. Psychologi­quement ça peut rendre fou. Ce qui fait que ça crée un truc que tous les gens du métier partagent : c’est une violence créative, je dirais. Moi je sais que mon impulsivit­é peut me jouer des tours, mais on ne peut pas faire ce métier si on n’aime pas les sensations fortes. Vous n’imaginez pas ce que c’est que de bâtir CHAQUE film comme un prototype… » Notre gorgée de Perrier citron manque de nous étouffer. « Bâtir chaque film comme un prototype », vient de nous asséner l’homme derrière Hollywoo (Foresti et Debbouze à L.A.), Fiston (Dubosc en coach séduction de Kev Adams) ou RTT (un machin exotico-plastoc avec Kad Merad et Mélanie Doutey)… Soit autant de films avec une ou deux stars comiques, calibrés pour le prime-time et pré-saucissonn­és pour les coupures pub. Il a beau nous avoir très vite avertis de son impulsivit­é, on somme gentiment Cyril de ranger son pipeau : « Euh, prenons votre dernier film, Boule & Bill 2, vous pouvez m’expliquer en quoi ça serait un prototype ? » « Vous êtes un peu vache là. Le premier était un pur prototype, quoi que vous en pensiez : j’avais constaté que mes filles possédaien­t des dizaines et des dizaines de DVD de films avec des chiens, et qu’ils étaient tous américains. Donc un jour, je me suis dit : “Mince, pourquoi on ne fait pas de films avec des chiens dans ce pays ?” J’ai donc cherché le moyen de faire ça et de, si possible, accoler cette idée avec une franchise. Ça a donné Boule & Bill. Le premier a mieux marché que celui-là parce que le concept scénaristi­que était fort : un môme réclame un chien à ses parents qui finissent par craquer. Le deuxième était plus conçu comme une suite de chroniques et s’est planté. C’est la grande leçon : pour qu’une comédie française fonctionne aujourd’hui, il faut un pitch limpide sinon c’est mort. C’est ce que ce nouveau prototype m’aura appris. Car c’en était un, oui. » Des prototypes donc, tous. Même ceux que vous n’oserez jamais regarder parce que vous les avez déjà vus deux cents fois. Il faut savoir l’entendre. Et après tout, Colbeau n’est pas là, face à nous, et pile au croisement d’une nouvelle vie profession­nelle, pour débiner ce qu’il a pu faire avant. En guise de micro-confession il nous lâchera tout juste ceci : « À partir de maintenant, je ne travaille plus que sur des projets qui me plaisent à 100 % »…

« UN JOUR, JE ME SUIS DIT : “MINCE, POURQUOI ON NE FAIT PAS DE FILMS AVEC DES CHIENS DANS CE PAYS ?” » – CYRIL COLBEAU-JUSTIN

À cet instant le Noto se met à ressembler à la chambre d’hôtel de 2001 avec le monolithe noir planté au beau milieu. Un petit vertige nous étreint : qu’est-ce qu’on fiche là, à le cuisiner à propos d’une filmo qu’on ne trouve pas à notre goût ? Pourquoi est-ce qu’on chercherai­t à le coincer sur son mode de vie paraît-il si bling bling, et qu’il n’aurait de cesse de réfuter avec fainéantis­e (« Quand je gagne trois sous, il m’arrive de payer ma tournée de champagne, oui. Mais les producteur­s ne sont pas bien riches, hein, la preuve ils roulent tous en scooter ») ? Pourquoi vouloir faire percer chez lui une part de cynisme qu’il nie ardemment (« Penser que je sois cynique, c’est l’un des rares trucs qui peuvent me rendre dingue ») ? Pour illustrer quoi ? Pour raconter quelle histoire au juste ? Et pourquoi ne pas arrêter l’enregistre­ur tout de suite et le laisser déjeuner tranquille­ment avec ses invités du jour ? On continue l’entretien parce qu’il faut s’avouer la part de fascinatio­n que ce type exerce sur nous. Elle ne s’affirme pas que dans ses punchlines et la manière qu’il a de se marrer comme un bossu dès lors qu’on le charrie sur les pires étapes de sa filmo. Il y a aussi cette drôle de passion du cinoche chevillée au corps, une manière très intime de causer pendant dix minutes de Knight of Cups, de décrire presque plan par plan le premier quart d’heure d’Enter the Void, de citer les bios de Don Simpson ou de Bob Evans comme des livres de chevet, ou de vivre la fabricatio­n de ses comédies TF1 comme si à chaque fois il refaisait dans son coin La Porte du paradis (« Quand même, à l’époque d’Hollywoo, bâtir un film sur-mesure autour de Florence Foresti, personne n’aurait osé »). Colbeau ne parle que d’adrénaline, de montées de fièvre et de l’excitation que lui procure son artisanat, jamais il ne s’emballe sur le produit fini. Fascinant, parce que littéralem­ent transporté et décrivant son métier comme « une prouesse semblable à de la géométrie dans l’espace ». Mince, a-t-il tout à fait conscience de la manière dont sa fiche IMDb est perçue ? « Non, et je m’en fous. Aucun ego. Il y a un cinéma que je produis : est-ce qu’il ressemble au cinéma que je consomme ? Parfois oui, parfois non. Est-ce que ça fait de moi un cynique quand je bosse sur mes petites comédies ? Non, c’est juste là où j’ai le plus de savoir-faire. Je ne saurais pas produire un Gaspar Noé, j’adorerais pourtant, mais en revanche je sais où trouver l’argent nécessaire pour financer un film d’Amelle Chahbi. C’est juste mon métier, celui que j’ai appris sur le tas en produisant des films institutio­nnels. On me commande quelque chose et je le livre le plus conforméme­nt possible. » L’ASSURANCE DU SCOOTER Comme les footeux, il prend donc les matches les uns après les autres, sans tirer une quelconque conclusion des succès comme des échecs. « Rien n’est jamais très signifiant dans ce métier : prenez Pension complète, le film de [Florent-Emilio] Siri avec Dubosc et Lanvin, un bide sanglant en salles : eh bien, avec les diffs télé et la VOD, le film va peut-être bien devenir rentable ! » Pas un problème majeur ça Cyril, ces films qui n’attirent pas un spectateur en salles et qui deviennent rentables par la magie de la télé et des réclames pour lessive ? Ça ne serait pas le souci qui incarne TOUTE la problémati­que du cinoche français et des bidules informes, moches, tristement télévisuel­s qu’il génère à toute berzingue ? « Mais non, pas du tout ! Dès qu’un film devient rentable, tu peux en faire d’autres ! C’est ça le job ! Et un jour, dans ceux-là, il y en aura un que vous, vous allez considérer comme un chef-d’oeuvre ! Là par exemple, je bosse sur un biopic autour de l’agent de Maradona, si j’arrive à le monter vous m’en direz des nouvelles ! » Pas de cynisme donc, puisque, c’est affirmé avec toute la sincérité du monde, « le prochain film sera le meilleur ». On le croit sur parole. En attendant il faut bien trouver de quoi payer l’assurance du scooter et éventuelle­ment sa tournée de champagne, bref trouver sa place, au chaud, quelque part entre le sommet et les abîmes.

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« YOU TALKIN’ TO ME ?» — Chemise ouverte, montre qui brille, le producteur de Cloclo était-il plutôt fait pour danser le mia ?
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