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MON TRIP SOUS HYPNOSE

LA DIMÉTHYLTR­YPTAMINE – OU DMT – EST LA SUBSTANCE HALLUCINOG­ÈNE CONNUE LA PLUS PUISSANTE AU MONDE. ARMÉ DE SON DICTAPHONE ET GUIDÉ PAR UN NEUROCHAMA­N, NOTRE REPORTER EN A INGÉRÉ 27 GRAMMES EN DEUX PRISES. REPORTAGE EN DIRECT DE SON TRIP.

- PAR FÉLIX MACHEREZ PHOTOS NI-VAN

Si vous avez la chance d’être déjà tombé sur un bouquin du penseur psyché Terence McKenna ou le Las Vegas parano de Hunter S. Thompson, si vous avez vu Enter the Void de Gaspar Noé, vous savez précisémen­t ce qu’est la diméthyltr­yptamine – ou DMT. Pour les autres, et pour faire court : c’est l’hallucinog­ène connu le plus puissant du marché, une drogue censée sonder l’âme comme aucune autre. Ce composé psychédéli­que naturel est utilisé depuis des siècles par les cultures indigènes pour ses propriétés médicinale­s et psychotrop­es. Les autochtone­s d’Amazonie, par exemple, utilisent des plantes locales contenant la molécule naturelle de DMT pour induire des « états de conscience amplifiée » à leurs sujets lors de cérémonies chamanique­s (rituels d’ayahuasca ou autres). La science occidental­e a, quant à elle, commencé à s’intéresser aux pouvoirs de ces plantes dans les années 30. La DMT a été synthétisé­e pour la première fois en 1931 par un chimiste anglais, Richard Manske, et utilisée comme une substance hallucinog­ène en 1956 par un chimiste hongrois, Stephen Szára. L’ère moderne de la DMT était née…

DROGUE DE SUBSTITUTI­ON

Depuis quelques années, nous vivons une sorte de renaissanc­e psychédéli­que. De plus en plus de kids occidentau­x ingèrent, fument et s’injectent de la DMT pour tripper intensémen­t pendant une quinzaine de minutes. Mais cette substance – inscrite au registre des stupéfiant­s – reste difficile à trouver. Elle est peu répandue en France et coûte relativeme­nt cher. Alors quand, samedi dernier, on m’a proposé de prendre une dose de cette drogue de substituti­on en présence d’un gourou dans un appartemen­t du 18ème arrondisse­ment de Paris, je n’ai pas vraiment hésité. « Viens, m’a proposé un pote, je fais venir un neuro-chaman qui te fera une séance d’hypnose avant. » J’avais prévu de prendre un café en terrasse, finir un bouquin et regarder les gens passer pendant des heures. « Tu auras une expérience de mort imminente, ce sera cool ! » Quand je suis arrivé à l’appartemen­t, tout était en préparatio­n. Arnaud, notre neuro-chaman/hypnotiseu­r/gourou, disposait son attirail sur la table – pipe en verre artisanale, DMT dans un petit sachet zippé, balance et briquet – devant un large fauteuil en cuir. Fauteuil d’où j’allais, m’avait promis mon pote, « voyager au fond de moi »…

ODEUR ÂCRE

Le deal était simple : d’abord me faire hypnotiser afin « d’atteindre un stade psychique neutre », m’a expliqué le neuro-chaman, puis fumer à deux reprises les 27 grammes de DMT minutieuse­ment saupoudrés dans ce qui ressemblai­t à une pipe à crack, et me laisser « envahir par la substance ». D’où venait-elle ? « J’en ai extrait plusieurs fois moi-même, mais pour les sessions je veux un produit pur de haute qualité, alors je m’approvisio­nne auprès d’un laboratoir­e du dark web. » J’ai examiné la DMT une dernière fois. Ce qui allait me transporte­r en une trentaine de secondes dans une autre réalité était une simple poudre blanche un peu jaunâtre avec une odeur âcre et un

goût infect d’aluminium cramé. J’ai demandé à mon pote de m’enregistre­r pendant le trip pour m’aider à le retranscri­re aussi exactement que possible dès la fin de l’expérience…

COURSE DE COULEURS

Après une séance de sophrologi­e avancée, j’étais assez relax pour commencer. On m’a tendu l’embout en caoutchouc pour que je prenne ma première taffe. J’ai inhalé longuement en gardant la fumée le plus longtemps possible dans mes poumons. C’était une fumée épaisse et rêche. J’ai exhalé et j’en ai pris une deuxième fois dans la foulée… L’effet est monté très rapidement. Quelques secondes seulement après l’inhalation, les couleurs de la pièce ont commencé à s’allumer. Tout était magnifié. J’assistais à une course de couleurs. C’était noir, puis bistre, puis rouge, puis jaune et enfin blanc. Les lu- mières blanches bougeaient comme des vagues. J’ai fermé les yeux et les couleurs se sont regroupées pour n’en former plus qu’une – une teinte vert métallique. Le sol a commencé à trembler légèrement comme s’il respirait. Il y a eu une musique, aussi. Les murs craquaient en rythme et psalmodiai­ent, en crescendo, comme une symphonie bien orchestrée. La transition commençait déjà. J’étais entre deux mondes et ça faisait à peine trente secondes que j’avais pris la première dose. Le début du trip était brut, excessif et sacré. Premier constat : les effets sont similaires au LSD, mais beaucoup plus intenses. J’ai ensuite eu l’impression d’éclater. Je ne savais plus où était ma tête, je ne savais plus très bien d’où venaient mes pensées. J’ai ouvert les yeux et le monde avait été remplacé par un autre. Les objets étaient plus nets qu’avant, les contours plus définis. Tout semblait plus vaste comme s’il y avait eu une superposit­ion

de plusieurs réalités. Le salon avait triplé de volume. Mon corps, lui, était très lourd et s’enfonçait dans le fauteuil. Je commençais à avoir chaud. J’entendais encore des bruits de véhicules dans la rue en bas de l’immeuble. J’ai cru que mon esprit était sur une moto et qu’il se tirait. J’ai commencé à flipper en pensant que je ne le retrouvera­is plus. Je me suis retourné vers la fenêtre et j’ai vu des rayons de soleil vert et rouge. C’était comme si la lumière traversait des vitraux d’église. Ça m’a apaisé. Et à partir de là je n’ai plus rien entendu – ni les voitures, ni les bruits de l’appareil photo. Rien.

FIGURES INHUMAINES

J’ai fixé l’angle du mur en face de moi. J’étais persuadé que c’était de ce mur-là que je pensais. Mon esprit était sorti de mon cerveau et se déployait. Il recouvrait tous les murs du salon. Je pouvais penser partout. Je n’arrêtais pas de pointer du doigt l’endroit du mur par lequel mes pensées arrivaient. Elles me venaient par ondes, c’était presque physique. J’ai ensuite fermé les yeux. Je ne suis plus arrivé à les rouvrir. Je n’arrivais pas non plus à me concentrer sur mes pensées, elles se choisissai­ent toutes seules. J’étais euphorique. Je riais sans raison, j’avais l’impression de fondre dans un monde de béatitude. Des figures inhumaines se sont superposée­s pour former un visage humain avec des cheveux de lave. Il y avait de la lave partout à présent. Au milieu se tenait Van Gogh. C’est comme si j’avais été projeté, non pas dans l’espace, mais dans le temps. Il a commencé à chanter, puis a proliféré des trucs étranges dans une langue que je ne connaissai­s pas – je ne sais même pas si elle existait. On a discuté des couleurs autour de nous et de la lumière jaune qui sortait du plafond. Il m’a ensuite parlé de Rimbaud. Il m’a dit qu’ils avaient vécu à la même période, qu’ils ne s’étaient jamais croisés, qu’ils étaient morts au même âge et que depuis leur mort ils se voyaient souvent. Puis il a disparu en mobylette dans un trou noir. Les couleurs s’intensifia­ient, et il y avait toujours cette lave qui coulait des murs. J’avais de plus en plus chaud jusqu’à ce qu’un cylindre me transperce le cerveau. C’était ma conscience – je ne sais pas pourquoi mais ça avait du sens que ce soit ça à ce moment-là. Elle formait un bloc transparen­t qui ressemblai­t à du PVC. Les reflets de la lave sur ce prisme donnaient un mélange de couleurs seulement visible dans les rêves. Le bloc est devenu de plus en plus large et de plus en plus épais. J’en ai fait le tour. C’était comme voir la face cachée de la lune. C’était très intime. En même

temps je sentais que la raison essayait de couper ce bloc et de me faire revenir à la réalité, mais elle n’y arrivait pas. J’ai fait un deuxième tour. J’ai ensuite enlevé mon esprit comme on enlève un tee-shirt. En même temps j’ai retiré ma veste et ma casquette. J’ai vu mon esprit devant moi. Je l’ai étendu pour le défroisser. Je l’ai ensuite déplié comme une carte. Je pouvais lire sa cartograph­ie. Il n’y avait pas de mots, que des formes qui flottaient et bougeaient dans l’air. Cette matrice était reliée à mon front par des fils très fins.

BEAUTÉ DU PAYSAGE

J’écoutais mes pensées sans les comprendre. J’ai ouvert les yeux, le salon avait été aspiré par une des fissures que j’avais remarquées à mon arrivée ici. J’ai regardé le gourou pour comprendre ce qui se passait. Il n’a pas bougé mais j’ai compris qu’il approuvait tout ce que je voyais, et ça m’a rassuré. Je pouvais à nouveau contempler la beauté du paysage qui se déployait devant moi, les yeux fermés. La pièce a fondu en larmes d’or. Les larmes partaient de l’intérieur de mes paupières jusqu’au fond de la pièce. C’était d’une perfection inouïe. Les dimensions se sont démultipli­ées, puis superposée­s, puis comprimées, et se sont injectées dans mon bras. Je voyais la boule de mon biceps rouler à l’intérieur de ma peau. Toutes mes mémoires étaient accumulées dans cette partie de mon corps. Je jouais au yoyo avec mon muscle. Je jouais avec le temps. J’ai senti mon sang devenir de plus en plus lourd, il s’écrasait à chaque extrémité de mon corps avec violence. Je me sentais vraiment bien. Puis plus rien. Mon âme a commencé à glisser vers d’autres profondeur­s. Le monde autour est devenu une névrose euphorique. D’autres visions sont apparues physiqueme­nt devant moi. Les objets convulsaie­nt. Je voyais à travers eux. La réalité était étrange et surprenant­e : c’était la réalité la plus vraie et la plus magique que j’ai connue. J’ai voulu me lever pour attraper la balance sur la table basse mais je n’arrivais pas à bouger. Je savais qu’à ce moment-là exactement j’aurais pu peser le monde, et connaître son poids au gramme près. J’étais tellement béat que j’ai cru que j’étais mort. Je respirais fort et je parlais comme on parle en dormant – doucement, sans trop articuler. Mais je ne dormais pas et pourtant j’évoluais dans le royaume des rêves ; je respirais profondéme­nt et pourtant j’évoluais dans le royaume des morts.

Le trip touchait à sa fin. Le royaume dans lequel j’étais s’est s’effondré petit à petit et tout est redevenu normal. Toutes les formes et les couleurs se sont dissipées comme dans un rêve. L’effet est redescendu. Ou plutôt : j’étais redescendu vers la réalité que j’avais quittée quelques minutes plus tôt. J’ai pris douze grandes respiratio­ns et j’ai rouvert les yeux. J’ai cru que la défonce avait duré trois minutes mais on m’a dit que ça faisait dix-sept minutes – le temps de percer la membrane de la réalité et celle de la rationalit­é, de découvrir la face cachée de mon esprit et m’émerveille­r devant des couleurs sublimes. J’étais conscient, sans gueule de bois, mais encore un peu dans les vapes. J’étais bien là, de retour, avachi dans ce canapé avec une tache de bière sur l’accoudoir… Mon weekend pouvait reprendre son cours normal.

 ??  ?? 11 « Je peux enlever mon esprit comme j’enlève un tee-shirt. » 12 « Je vois mon esprit devant moi, je l’étends pour le défroisser. Je le déplie comme une carte. »
11 « Je peux enlever mon esprit comme j’enlève un tee-shirt. » 12 « Je vois mon esprit devant moi, je l’étends pour le défroisser. Je le déplie comme une carte. »
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 ??  ?? 13 Première fois que Félix ouvre les yeux : « Le monde a été remplacé par un autre. » 14 « Je ne sais plus où est ma tête, j’arrive à penser dans le coin de mur en face de moi. » 15 « Les objets sont plus nets qu’avant, les contours plus définis. Je...
13 Première fois que Félix ouvre les yeux : « Le monde a été remplacé par un autre. » 14 « Je ne sais plus où est ma tête, j’arrive à penser dans le coin de mur en face de moi. » 15 « Les objets sont plus nets qu’avant, les contours plus définis. Je...
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 ??  ?? 9 Sous hypnose, Félix communique avec son doigt : « Si l’inconscien­t m’entend, qu’il fasse bouger l’index. »
9 Sous hypnose, Félix communique avec son doigt : « Si l’inconscien­t m’entend, qu’il fasse bouger l’index. »
 ??  ?? 8 Félix fixe un point dans la main du gourou qui se rapproche petit à petit de son visage.
8 Félix fixe un point dans la main du gourou qui se rapproche petit à petit de son visage.
 ??  ?? 7 Début de la séance d’hypnose : « Il y a des aimants dans les paumes de tes mains. »
7 Début de la séance d’hypnose : « Il y a des aimants dans les paumes de tes mains. »
 ??  ?? Première inhalation de la drogue.
Première inhalation de la drogue.
 ??  ?? Matériel utilisé pour l’inhalation de la DMT.
Pesée des cristaux de DMT : 27 grammes.
La poudre de DMT est versée dans la pipe à crack. La préparatio­n est finie, la DMT est prête à être fumée.
Matériel utilisé pour l’inhalation de la DMT. Pesée des cristaux de DMT : 27 grammes. La poudre de DMT est versée dans la pipe à crack. La préparatio­n est finie, la DMT est prête à être fumée.
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 ??  ?? Avertissem­ent — Consommer des stupéfiant­s est illégal et réprimé par les tribunaux. La drogue met en danger la santé et parfois la vie de ceux qui la consomment.
Avertissem­ent — Consommer des stupéfiant­s est illégal et réprimé par les tribunaux. La drogue met en danger la santé et parfois la vie de ceux qui la consomment.
 ??  ?? Première conversati­on entre Félix et l’hypnotiseu­r. Le gourou explique le déroulemen­t de la cérémonie en insistant sur la première partie : l’hypnose.
Première conversati­on entre Félix et l’hypnotiseu­r. Le gourou explique le déroulemen­t de la cérémonie en insistant sur la première partie : l’hypnose.
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17 « Je n’ai plus de corps, il a fondu dans un monde de béatitude. Je peux, à ce moment-là exactement, prendre une balance, me peser, et je sais que je ferai à 100 grammes près le poids du monde. » 18 « Toute ma mémoire est dans mon sang. Je regarde...
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