LE PORTRAIT
PIERRE-ANTOINE CAPTON
Ce lundi 8 mai, lendemain de la victoire
« PIERREANTOINE NE LÂCHE JAMAIS RIEN ! » – XAVIER NIEL
d’Emmanuel Macron à la présidentielle, Pierre-Antoine Capton savoure sa victoire. Alors que son docu sur la campagne du candidat En marche est diffusé en prime sur TF1, le producteur de 42 ans reçoit des textos de félicitations en rafale. Confortablement installé dans le salon de son élégant appartement de Saint-Germain, entouré par sa famille (son épouse Alexandra, ses quatre enfants) et quelques proches, il partage les messages les plus drôles avec l’assemblée. Certes, quelques tweets se moquent de cette hagiographie de 90 minutes – qualifiée de « machine à fabriquer de la sympathie » par Daniel Schneidermann –, mais l’audimat est sans appel. 4,4 millions de téléspectateurs pour un doc politique. Du jamais-vu. Il lui faudra attendre le lendemain pour recevoir un message d’un certain « E.M. » lui indiquant que le documentaire retranscrivait ce qu’il venait de vivre de manière très honnête. L’objet de tous ses suffrages ? Macron : les coulisses d’une victoire, un film tourné de manière « embedded », sur sept mois, par Yann L’Hénoret, un réal’ habitué aux docus au long cours sur de fortes têtes (Jan Kounen, Teddy Riner…). Démarré dans le secret le plus absolu, et annoncé la veille au JT de la Une, le cut final a été livré à la direction de la chaîne sans que Macron ni ses équipes n’aient eu le temps de le visionner…
« ON VERRA BIEN »
« Le soir de la diffusion, on avait un poids sur les épaules jusqu’à 23 heures, vu que personne ne savait vraiment ce qu’était le film », avoue le producteur aujourd’hui. Vêtu d’un jean bleu foncé, d’une veste de costard noir, de nombreux bracelets aux poignets et de sobres lunettes arrondies qu’il ne quitte jamais, il se livre doctement. En démarrant le tournage, le réal’ et son commanditaire se décident à « raconter l’histoire d’un homme qui construit son parti tout en menant campagne » . Le film est coproduit avec Black Dynamite, dont le boss Éric Hannezo se souvient : « On discutait, à la fin de l’été dernier, et on se disait que ce serait intéressant de faire quelque chose sur cette campagne singulière. Il apparaît assez vite qu’Emmanuel Macron est la personne qu’il faut suivre car c’est quelqu’un qui a tout à bâtir. » Capton complète : « On commence à tourner en se disant “on verra bien”. Et on le propose aux directeurs des programmes qui nous disent tous non… Mais ça fait partie des aventures qui sont géniales dans ce métier : vous pouvez partir sur un docu où tout le monde vous dit que ça n’intéressera personne et prendre un risque financier – en l’occurrence on aurait perdu 200 000 euros – et finalement vous avez un documentaire avec des rushes, qui a fait le tour du monde et qui pourra marquer l’histoire pendant quelques années... Plus on se rapprochait du premier tour, plus Macron mon-
tait dans les sondages, plus on avait des séquences fortes. » Avec le ralliement de Bayrou au mois de février, filmé côté coulisses, l’équipe tient son premier grand « moment éditorial ». Mais ne laisse pas filtrer la moindre information : les collaborateurs de Troisième OEil, la boîte de Capton, ne sont pas censés savoir ce qui se mijote dans les bureaux de Black Dynamite… Capton fait alors la tournée des chaînes avec les premières images. Sûr de son coup – sans avoir la moindre certitude quant au résultat à venir –, le producteur leur impose une condition : que le doc soit diffusé dans la semaine suivant les résultats. Les directeurs des programmes, pas du genre à insulter l’avenir, préfèrent attendre. Sauf celui de TF1, Ara Aprikian. « Si on a eu les droits, c’est parce qu’on a été les premiers à lui proposer une diffusion dès le lendemain de l’élection », racontera ce dernier dans les dîners. Les jours précédant le scrutin, le film devient l’objet de toutes les convoitises. « Une chaîne concurrente m’a appelé le dimanche de l’élection, alors que TF1 n’avait pas encore annoncé la diffusion du film, pour me l’acheter, raconte Capton. Mais TF1 a été honnête et courageuse de prendre ce film bien avant les autres, donc il n’était pas question de faire une surenchère. » Sachant qu’aucun contrat n’avait encore été signé entre le producteur et la première chaîne de France – Capton et Aprikian se contentant d’une simple poignée de main –, l’on est en droit de se demander : mais d’où vient ce saint homme du PAF ? REPÉRÉ PAR FOGIEL Dans la seconde moitié des années 90, Pierre-Antoine est un jeune ambitieux en stage chez Canal Jimmy, travaillant dur pour ses 900 francs mensuels. Bien décidé à ne pas suivre l’exemple de ses deux grands frères (ils ont fait leur vie professionnelle dans leur Normandie natale), ni celui des parents (la mère tenait un salon de coiffure, son père était moniteur d’auto-école), Pierre-Antoine descend à la capitale son bac en poche. Son premier arrêt ? Le Cours Florent. Mais au bout d’une semaine de formation, il se rend à l’évidence. Il ne sera pas acteur. Sur les conseils d’un camarade de classe, il entame donc un premier stage « dans la prod », chez AB Productions, premier fournisseur de fictions djeunz et cheapouilles de l’époque. Quand il arrive dans les hangars de production, situés dans la « zone télé » de la Plaine Saint-Denis, on lui confie cinquante dollars. Sa première mission : retourner à Paris faire le change. Le voici professionnel de télé : « J’étais une sorte de coursier sans moto et on me faisait faire toutes sortes de missions pas toujours très sympas. » Deuxième stage : la chaîne baby-boomer chic, Canal Jimmy. Dans ce lieu peuplé d’anciens et d’actuels de Canal, il se sent chez lui, y passant ses nuits et produisant ses premiers sujets. Fogiel, alors à la tête de l’émission médias de Canal, TV+, repère son travail, l’appelle. « Marc-Olivier m’a fait venir dans son bureau et m’a dit : “On va bosser ensemble, alors tu veux combien ?” Ne sachant pas quoi répondre, il a sorti une grille des salaires et m’a annoncé que je serais payé 20 000 francs. Ça me paraissait totalement déraisonnable ! C’était plus que les boulots de mon père et de ma mère réunis. » Passé de stagiaire à researcher, il découvre « une espèce de fosse aux lions avec des types qui ne voient pas d’un bon oeil l’arrivée de ce jeunot de 23 ans » . Capton y observe, en les subissant, les méthodes de management de « M.-O. F. ». « Pendant deux ans, ça a été assez compliqué, d’autant que Marco faisait tout pour qu’il y ait une compétition entre les uns et les autres. C’est son mode de management et j’avoue qu’il m’a été très utile puisque j’en utilise encore certains codes – tout en en évitant d’autres. Marco a été le déclencheur. » Quand Fogiel est débauché par France 3 à la rentrée 2000, Capton ne le suit pas, mal vu par certains adjoints de Fogiel. Il décide donc de créer sa propre boîte, Troisième OEil. Il a 27 ans.
2017, LA RENTRÉE DE TOUS LES DANGERS ? Après le départ d'Anne-Sophie Lapix, Anne-Élisabeth Lemoine sera la nouvelle cheffe de table deCà vous. Et dans Cl' heb do, c'est AliBadd ou qui viendra nous parler actu àlaplaced' AnneÉlisabeth …« Le gros enjeu ave cC à vous sera de reconstruire une équipe autour d'Anne-Élisabeth Lemoine, reconnaît Pierre-Antoine
Capton. Il y a une concurrence plus forte avec Yves Calvi qui arrive sur Canal, et Pujadas sur LCI... » Lemoine et Baddou pourront-ils incarner avec succès la vision « popote-chic » du producteur ? La réponse ces jours-ci.
LA SOEUR DE « GUEULE D’AMOUR »
« Troisième OEil, c’est vraiment son petit trésor, rappelle Sidonie Cohen de Lara, une amie de lycée devenue productrice associée du pôle fiction. Il l’a monté tout seul avec ses petites mains et à force de persuasion auprès des autres. Il ne lâchait jamais. » Le futur nabab débute en fournissant des émissions discount à Paris Première et à TPS Star. Pour cette dernière, il crée Star Mag, un talk-show consacré au cinéma. Parmi les chroniqueurs se trouve un quasidébutant venu de l’édition, Éric Naulleau. « On a un caractère assez facile tous les deux, on ne se prend pas au sérieux », décrypte Naulleau sur cette amitié professionnelle vieille de quinze ans. Les deux sympathisent sur le foot, leur passion commune, et la littérature, l’autodidacte Capton se montrant avide des conseils de l’éditeur. « Pierre-Antoine m’a aidé à franchir des paliers dans ma carrière de manière très posée, très réfléchie et toujours amicale. Et ça fait du bien de pouvoir bosser à la Capton car il est très réglo. Il fait ce qu’il dit, il dit ce qu’il fait. » Quand le producteur cherchera un nouvel animateur pour Star Mag, en 2008, ce sera l’ex-chroniqueur Naulleau. Quand il rachètera le format Ça balance à Paris à Morgane Prod, en 2010, il filera la présentation à l’ami Naulleau. Et quand Zemmour et Naulleau, virés d’On n’est pas couché, cherchent à prolonger leur duo télévisé, ils développeront Zemmour & Naulleau avec Capton pour Paris Première. Une collaboration qui ira au-delà de leurs émissions : Naulleau l’éditeur est un pilier de Louison, la maison d’édition créée par madame Capton, Alexandra Bikialo (son frère jouait « Gueule d’amour » dans Le Miel et les abeilles). Une story amicale digne d’une production AB...
SHOWS « POPOTE-CHIC »
Sous les présidences de Sarkozy et Hollande, les carnets de commandes de Troisième OEil se remplissent. Sous Sarko, Capton bénéficie des réseaux de son mentor Jacques Chancel (l’ancien présentateur du Grand Échiquier, dont un portrait ornait son bureau, est une de ses figures titulaires), resté influent pendant la présidence du sarko-compatible Rémy Pflimlin à France Télévisions. Sous Hollande, le service public ayant pour ordre de rogner sur les coûts, « P.-A. C. », habitué aux productions à l’économie et aux rédactions « couteau-suisse », deviendra le producteur providentiel.
« ÇA FAIT DU BIEN DE BOSSER À LA CAPTON : IL FAIT CE QU'IL DIT, IL DIT CE QU'IL FAIT. » – ÉRIC NAULLEAU
Il rejoindra la cour des grands avec la quotidienne C à vous, présentée sur France 5, à partir de la rentrée 2009, par Alessandra Sublet, puis avec l’hebdo gastro-CSP+ Les Carnets de Julie, sur France 3, à partir de 2012… « Il est à la fois performant, attentif aux décideurs, et en même temps très à l’écoute de ses animateurs, confie la présentatrice de ce dernier, Julie Andrieu. C’est quelqu’un de très disponible et qui assure une vigilance constante quant au bien-être de ses collègues. Et puis il a un vrai sens de la direction des équipes. Parce qu’il faut bien harmoniser tout ce petit monde et ses egos un peu puissants qui s’entrechoquent. » Grâce à ces deux émissions phares, le « ton Capton » s’impose : des shows « popote-chic », moins clivants que ceux proposés par Canal, plus classes que ceux de la TNT, et capables de dominer les audiences de l’accès prime-time… C à vous finira même, au bout de sept saisons, par dépasser le Grand Journal. Car les prods bienveillantes de Capton plaisent (si l’on oublie le naufrage Un Soir à la Tour Eiffel sur France 2). Si bien qu’en multipliant les émissions culturelles, culinaires et sociétales – à chaque fois accessibles, sans aspérités (l’exception à la règle étant bien évidemment Zemmour & Naulleau) –, son catalogue gonfle à vue d’oeil. Pour la saison 20162017, Troisième OEil, désormais la plus grande boîte de prod indépendante en France, a produit 603 heures de programmes – une centaine de plus que l’année précédente. Pour un chiffres d’affaires avoisinant les
« JE VOIS TOUS LES BANQUIERS BAISSER LA TÊTE EN SE DISANT QU'ON N'ALLAIT PAS Y ARRIVER. » – P.-A. CAPTON
14 millions d’euros… Mais Capton avouera à certains de ses proches avoir le sentiment de « plafonner ». Ce grand habitué des dîners parisiens glisse à ses voisins être à la recherche de « nouveaux challenges »…
« UN TRUC UN PEU BIZARRE »
Le salut viendra grâce à une entourloupe faite à Xavier Niel en 2012. « Il devait faire une seule télé, en exclusivité, pour annoncer le lancement de Free Mobile, et ce devait être Le Grand Journal, raconte Capton en se marrant. Alors je demande à son attachée de presse si on peut quand même enregistrer notre interview pour la diffuser le lendemain. Il accepte, enregistre un plateau de C à vous, et repart sur sa moto-taxi pour Canal. Là, on balance sur Twitter qu’il sera en direct le soir-même. Quand Niel arrive au studio, Denisot le reçoit en s’excusant et lui dit qu’il ne pourra pas faire l’émission parce qu’il sera sur C à vous en même temps. » Niel, accessoirement le plus gros vendeur d’abonnements à Canal, rentre chez lui, furax. Quelques jours plus tard, le multi-milliardaire, intrigué, appelle pourtant Capton : « C’est rare, qu’on se comporte de la sorte avec moi… Vous seriez disponible pour un déjeuner ? » Un autre repas, organisé par la communicante Anne Hommel en 2015, lui permet de faire la connaissance de Matthieu Pigasse. Un mois plus tard, Capton comprend la raison de l’invitation : le banquier-proprio des Inrocks et le patron d’Iliad veulent qu’il prenne les commandes opérationnelles « d’un truc un peu bizarre qui n’a jamais été fait en France, un SPAC ( Special Purpose Acquisition Company). Forcément, quand vous venez de Trouville, que vous n’avez même pas quarante ans, et qu’il y a ces deux monstres qui vous proposent de monter un truc, vous ne pouvez pas dire non ». Le lendemain, Pierre-Antoine est attendu chez J.P. Morgan, la banque d’affaires sise place Vendôme. Une vingtaine d’avocats et de banquiers l’attendent pour lui demander quel est son plan. « Je ne savais pas de quoi on parlait, je ne connaissais absolument pas les outils financiers et en plus je ne parlais pas un mot d’anglais, avoue le producteur. Je leur explique tout ça et je vois tous les banquiers baisser la tête en se disant qu’on n’allait pas y arriver. » Mais ses deux futurs partenaires sont confiants. « Pierre-Antoine ne lâche jamais rien !, nous fait savoir Niel par mail. C’est cette détermination que j’ai appréciée. »
LEADER EUROPÉEN
Le trio fraîchement constitué, serein, annonce la création de Mediawan, une société cotée pour laquelle ils lèveront 250 millions d’euros. Le but ? Racheter des sociétés créatrices de contenus, des diffuseurs… À Troisième OEil, Capton – un patron qui a toujours su se faire rare au sein de sa boîte, laissant ses collaborateurs à leurs responsabilités – devient plus difficilement joignable. Pendant un an, il bosse sur le projet tout en suivant des cours d’anglais et de finance en accéléré – « pour pouvoir parler le même langage que mes associés ». « Pierre-Antoine a rapidement assimilé les codes extrêmement complexes des marchés financiers internationaux et se meut maintenant dans ce monde très particulier avec agilité, indique l’avocat de Mediawan (et cousin de Pigasse), Bruno Cavalié. C’est aussi pour ça qu’il a été choisi. Il est extrêmement intelligent, il assimile à toute allure, et il le fait en plus dans la joie et la bonne humeur. » Rapidement, le trio échange sur les rachats possibles (première emplette, pour 270 millions : AB Groupe, le lieu de son tout premier stage) ; sur où placer l’argent en attendant de futurs achats ; sur leur vision des médias dans dix ans… « Le principal enjeu est de faire de Mediawan le leader européen de contenus premium le plus rapidement possible » , lâche le producteur en fin d’entretien. Mais ses goûts audiovisuels – ses émissions demeurant, en majorité, des « machines à fabriquer de la sympathie », pour reprendre la critique de Schneidermann – pourront-ils réellement séduire les téléspectateurs à échelle internationale ?