VIVENT LES BOULETS !
De mon temps, les profs nous parlaient du principe de Peter. S'ils nous sortaient régulièrement cette théorie selon laquelle tout employé sera promu « jusqu'à son seuil d'incompétence » , c'était en guise d'avertissement. À peine pubères, nous incarnions déjà, à en croire le corps enseignant, l'élite de la nation, celle destinée à faire ses humanités dans une université de standing avant de rejoindre une entreprise digne de notre éducation. Il eut été préférable de se déclarer bolchevik qu'incapable. « Soignez votre entourage, conseillaient-ils, chacun de nous devenant, au fil du temps, la moyenne des quatre personnes que nous fréquentons le plus. » (Cette phrase m'empêche régulièrement de dormir.) Flash-forward 25 ans plus tard : le renversement des valeurs est total. Sur nos lieux de travail comme dans nos cercles d'amis, le boulet est roi. Se faire de nouvelles connaissances n'a jamais été aussi facile – et nous restons pourtant fidèles à ce vieux pote qui nous fout la honte à chaque sortie. Quant au monde du travail, devenu un champ de ruines sans foi ni loi, rendons-nous à l'évidence : Gaston Lagaffe a pris la place de De Mesmaeker. Et, miracle du XXIème siècle, l'entreprise ne se porte pas plus mal… Car dans un monde professionnel où nous surjouons nos rôles (sans avoir la moindre idée de la récompense possible) et où notre part « d'humanité » se limite à la photo sépia que nous postons soigneusement sur Instagram, le boulet, le nuisible, l'incapable, le tire-au-flanc, le pinailleur imberbe, le chouineur à retardement, le glandu, le quadra en pré-retraite, le stagiaire-bourreau... fait figure d'exception héroïque. Plutôt que de nous en plaindre, tendons-lui la main. Car comme le dit Mark Manson dans notre dossier, c'est en apprenant à travailler avec lui que nous pouvons espérer devenir « la meilleure version de nous-mêmes ». Sur ce, je retourne boucler ce numéro avec les quatre collègues avec lesquels je viens de passer 72 heures non-stop...