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CABADZI X BLIER

Est-ce du hip-hop ? De la chanson ? Du slam ? Un peu tout ça à la fois. Sur le papier, le projet a des valseuses : composer un album construit sur les dialogues des films de Bertrand Blier, ça aurait pu donner un exercice de style vain et somnifère, d’aut

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cinéma, je suis hanté par le pléonasme – si, dans un road-movie, on met de la musique de road-movie, c’est ce que j’appelle un pléonasme. Ça me fait horreur. À la place, je mets du Grappelli, musique désuète. Enfin désuète, trente ans avant c’était populaire… Il y a une volonté chez moi de fuir ce pléonasme. Je suis l’anti-Scorsese. Scorsese, s’il a un combat de boxe, il va nous mettre les Rolling Stones. Mais moi je mets une symphonie de Bruckner. C’est une forme d’aristocrat­ie du cinéma d’auteur français. On n’est pas des crétins, quand même.

L.C. : Ah ah !

B.B. : Quand on voit des films américains, on a l’impression d’avoir affaire à des crétins, non ? Scorsese, il peut faire un film de deux heures et y mettre trois heures de musique. Il y a des moments où il ne faut rien mettre. Les Français utilisent bien mieux les musiques. En 1969, qu’est-ce qui vous avait le plus impression­né dans Easy Rider ? B.B. : C’est l’histoire, ces acteurs merveilleu­x, la première fois que je vois Jack Nicholson, et puis ce rêve américain qu’on a tous en France… On est content de vivre en France, mais on aimerait bien aller faire un tour sur la route 66. Sauter des trains en marche, on a tous envie de vivre ça. Enfin, plus à mon âge ; mais quand j’étais jeune, oui.

L.C. : Il y a de ça dans Les Valseuses, l’esprit du hobo américain…

B.B. : Tout à fait. J’avais des acteurs balèzes, assez américains, donc ça avait marché. Et puis j’avais trouvé des décors américains, même s’il y a des trucs qu’on n’a pas. On n’a pas de motel, par exemple. Alors que dans son film, Turturro a un motel magnifique, je suis jaloux. Lulu, dans le cinéma de Blier, la mise en scène te frappe autant que les dialogues ? L.C. : C’est plutôt l’univers, à chaque fois. L’univers du road-movie justement, qui est là aussi dans Préparez vos mouchoirs, un peu dans Beau

père, dans Tenue de soirée… J’aime cette idée de partir de personnage­s déséquilib­rés qui servent à rééquilibr­er la vie. Ça, c’est important dans toute la filmograph­ie de Bertrand.

B.B. : La mise en scène, c’est de l’argent. Quand on a deux heures pour faire un plan, ce n’est pas la même chose que quand on a un quart d’heure. À l’époque des Valseuses, je n’avais pas soigné la mise en scène, j’étais trop jeune et puis je n’avais pas les moyens. Les Valseuses ayant été un énorme succès, tout de suite après on m’a ouvert les banques et là j’ai fait davantage de mise en scène. Dans l’album de Cabadzi, on ne retrouve pas l’humour des films dont il s’inspire. Pour éviter le côté Rire et Chansons ? B.B. : Je n’ai jamais entendu une chanson qui m’ait fait rigoler. Ou alors de très mauvaises, aux Victoires de la Musique, parfois.

L.C. : L’humour en musique, ça ne passe pas, c’est super compliqué. Et au passage, la portée humoristiq­ue, elle n’est pas dans tous les films de Bertrand…

B.B. : Ce sont plutôt des films noirs.

L.C. : On est dans l’humour noir, voilà. Buffet froid, c’est sombre. Le début avec le type poignardé dans un couloir de métro… La scène avec Michel Serrault ? Elle est hilarante !

B.B. : Oui, enfin Serrault a un couteau dans le ventre, quand même.

L.C. : Entre humour et noirceur, les frontières sont poreuses, comme dans notre musique entre électro, hip-hop, chanson…

B.B. : Dans Buffet froid, il n’y a pas de musique, c’est merveilleu­x. À un moment, il y a un sextuor de Brahms qui vient voir mon père qui est dans son lit, et mon père tue les musiciens – une définition de la musique de film absolument parfaite.

L.C. : Il n’y a rien de sacré, à chaque fois. Je ne sais pas si c’est de l’anarchisme ou quoi… Il n’y a pas de terme en français pour définir ce point de vue sur les choses…

B.B. : Il y a un terme, si : ça s’appelle se marrer en faisant des films. Tuer les musiciens, je me répète, c’est un bonheur. Un jour, des gens m’ont invité à une projection de Buffet froid où le film était accompagné par un orchestre symphoniqu­e. Je n’y suis pas allé. Ce n’est pas la peine de se faire chier. Pour une fois qu’il y a un film sans musique, pourquoi en rajouter ? Vous avez déclaré qu’avec Les Valseuses vous aviez « mis la main au paquet de la France de Pompidou ». C’est quoi, mettre la main au paquet de la France de Macron ? L.C. : Ce serait bien d’y réfléchir et de s’y mettre. B.B. : On a cinq ans devant nous. L.C. : Là, je viens de finir le tome trois de Vernon Subutex, j’adore, je suis un passionné de

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