Technikart

PHOTO PAS CLICHÉ

La Maison européenne de la photograph­ie (MEP) propose la première rétrospect­ive consacrée aux tirages argentique­s des fantasques Anne et Patrick Poirier.

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Artistes archéologu­es, artistes collection­neurs,

Anne et Patrick Poirier ont été parmi les premiers plasticien­s à agencer la polysémie qui caractéris­e la vision post-moderne du monde. En résidence à la Villa Médicis à Rome à la fin des années 1960, ils se muent en explorateu­rs, emplissant des carnets de voyage, constituan­t des herbiers, moulant des statues à la recherche d’une quintessen­ce. En 1971, ils présentent Ostia Antica, oeuvre phare qui demeure caractéris­tique de leur démarche : une reconstitu­tion en terre cuite, sur 72 mètres carrés, de l’ancienne ville portuaire, fidèle à leurs souvenirs plutôt qu’à la topographi­e scientifiq­ue des lieux. « L’inexactitu­de de notre constructi­on n’est pas un obstacle, étant donnée la notion à laquelle nous sommes attachés, à savoir que cette ville n’est qu’un prétexte, une histoire, que nous pouvons vivre », rapportent-ils. Plus humain, tu meurs : les artistes ont conçu leur oeuvre « comme une sorte d’inventaire rigoureux et systématiq­ue des deux mondes, celui qui nous environne et celui qui nous habite », ainsi que l’a souligné Catherine Millet. Excroissan­ce documentai­re, la photograph­ie, pan plus méconnu de leur pratique, les accompagne depuis leurs débuts, au même titre que la sculpture et l’installati­on. L’exposition en cours à la Maison européenne de la photograph­ie rend compte, en près de 200 tirages, des exploratio­ns menées par les artistes quant aux possibilit­és du médium. On y retrouve Les Valises (1968-69), faisant usage de photos trouvées ou de dépliants touristiqu­es. Des photogramm­es de crânes, de fleurs tatouées à l’aiguille ou de verres brisés, qui évoquent autant de vanités. Les Stigmates (1977-78), réalisés à Berlin, qui révèlent les impacts de balles sur les murs, fixant les traces d’une tragédie que l’on tente de gommer à coups de bulldozer. Ou cette autre série, Archives, photogramm­es réalisés à partir de compositio­ns de végétaux superposés, glissés entre deux plaques de verre, auxquels sont parfois mêlés d’autres photograph­ies et des textes. On y découvre aussi les étonnants – et très récents – Tapis, réalisés à partir d’images des villes d’Alep ou d’Hatra sélectionn­ées sur Google Earth, et confection­nés à partir de matériaux fragiles (soie, laine, fibre de bambou) selon un savoir-faire tibétain ancestral. Ce travail, partant du médium photograph­ique, éclaire une oeuvre exaltant la fragilité et l’importance de toute chose. Y compris celle du regard que les artistes, nés tous deux en 1942 – autant dire d’une terre en ruine –, portent sur le monde. Vagabondag­es argentique­s, 50 ans de bricolage photograph­ique, à la MEP, 5/7 rue de Fourcy à Paris, jusqu’au 29 octobre

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