Technikart

RENCONTRE

RICHARD ORLINSKI & ALEXANDRE ELICHA

- PAR LAURENCE RÉMILA PHOTOS JULIEN LIÉNARD

À Paris, veille de fashion-week. Le rendez-vous a lieu dans l’impression­nant QG de The Kooples, un immeuble du côté du parc Monceau débordant de verdure (le père des trois fondateurs de la marque leur a donné le goût du jardinage) et de grands tirages des plus beaux clichés du photograph­e Dominique Tarlé : Keith Richards bien entouré, Keith au repos… L’objet de notre visite est exposé dans la cour : la collection créée par la marque en collaborat­ion avec Richard Orlinski, l’artiste français le plus vendu dans le monde, malmené par une certaine critique chichiteus­e (on l’imagine mal dans les pages d’Art Press), mais prisé des collection­neurs (en 2014, il vend une sculpture – une pin-up jaillissan­t de la bouche d’un crocodile en or – pour 15 millions d’euros). Notre hôte, Alexandre Elicha, un tiers de la tête dirigeante de The Kooples (avec ses frères Laurent et Raphaël) nous attend avec Richard Orlinski. « Regardez, démarrent-ils d’une même voix, on a imaginé une collection qui a du vécu, un peu destroy, qui nous ressemble… »

Messieurs, vous présentez ces jours-ci la collaborat­ion The Kooples x Richard Orlinski. Comment a-t-elle démarré ? Alexandre Elicha (The Kooples) : C’est d’abord une rencontre humaine, entre Richard et Alex, avant d’être une collaborat­ion entre une maison de mode et un artiste contempora­in. Richard Orlinski : On s’est rencontrés à un événement caritatif. Et, rapidement, on est devenus très potes.

C’est la première fois que The Kooples – connue pour ses collaborat­ions avec Pete Doherty ou Emily Ratajkowsk­i (le sac « Emily ») – s’associe avec un artiste contempora­in. C’est pour toucher un nouveau public ? A.E. : C’est avant tout pour toucher à l’art. C’est une première pour nous. Et tout est vraiment parti de notre amitié, de l’admiration que j’ai pour le travail de Richard. Ce qu’il fait est très moderne, il développe tout un univers auquel tout créatif intéressé par la modernité et l’histoire du pop-art se doit d’être réceptif. Et on s’est dit : pourquoi ne pas collaborer ensemble,

« POUR NOUS, LA TÊTE DE MORT INCARNE LA VIE DANS TOUTE SA SPLENDEUR. » – ALEXANDRE ELICHA

en trouvant une identité forte – très forte ! – pour une nouvelle collection. R.O. : En réalité, c’est un vrai mariage, deux ADN complément­aires qui s’allient. Et on n’a pas l’intention d’en rester là, d’en faire qu’une collection capsule. On a plein d’autres idées ! A.E. : À commencer par tout ce que la tête de mort, très présente dans la collection, représenta­it déjà pour nous. Richard avec ses crânes grandeur nature, moi avec ma collection de têtes de mort… Pour nous, elle incarne la vie dans toute sa splendeur. Ce symbole est très important pour la maison, mais aussi pour nous, les frères Elicha, car nous portons cet emblème depuis plus de trente ans. R.O. : Pour moi aussi, la tête de mort, c’est l’éternité…

Richard, vous avez commencé à vous faire connaître sur le tard, à 40 ans. Que faisiez-vous avant ? R.O. : En fait, je sculptais déjà mes premiers animaux, en terre cuite, à l’âge de 4 ans. Mais si j’ai attendu longtemps avant de me lancer, c’est parce que je n’étais pas issu d’un milieu favorisé. Alors j’ai d’abord suivi un cursus et une filière traditionn­els. Et quand je me suis enfin décidé à vivre de mon art, j’avais déjà eu toute une vie profession­nelle avant.

Alexandre, vous avez commencé, avec vos frères, très jeunes, en bénéfician­t de l’exemple de vos parents (Tony et Georgette Elicha, à l’origine de la marque Comptoir des Cotonniers, ndlr). A.E. : Oui, on est nés là-dedans. Petit, j’escaladais des montagnes de jeans, je jouais avec des bobines de fil et des bouts de tissus. J’ai toujours connu ça.

Et qu’avez-vous appris en travaillan­t en famille ? A.E. : Notre mère nous a donné la fibre artistique, et notre père, le côté plus stratégiqu­e, tout ce qui touche au business. On a collaboré avec eux pendant des années. Et quand le groupe Fast Retailing Co. (propriétai­re d’Uniqlo, ndlr) a racheté la maison Comptoir des Cotonniers en 2005, ça nous a donné deux, trois ans pour vraiment réfléchir à ce que nous voulions faire. Avec mes frères, on avait envie de lancer un truc qui nous ressemble, qui soit propre à nous. On savait que ce serait dans le textile. Je passais mes journées dans des boutiques vintage, toujours à chercher, à chiner des vêtements qui allaient nous inspirer. Et de là s’est créée la maison The Kooples : une identité forte, avec un twist entre des influences anglaises, rock, et le côté plus chic français. On a mélangé tout ça et The Kooples était née.

Richard, vous qui collaborez souvent avec des marques, en quoi est-ce différent de travailler avec The Kooples ? R.O. : La collaborat­ion « dans le détail » ! Une vraie dynamique créative. Alexandre m’avait dit, dans un premier temps : « Amène-moi des pièces vintage, des trucs que tu portes », pour essayer de faire quelque chose qui ressemble à mon univers artistique. Et ensuite on a lancé des prototypes. Nous n’étions pas dans quelque chose de factice, il ne s’agissait pas juste de signer « Orlinski » sur un bout de toile.

On note pas mal de graffitis sur cette collection, ce qui est une de vos marques de fabrique. R.O. : Oui, nous nous sommes inspirés de pièces que j’ai déjà. Depuis un an et demi, je développe un univers de plus en plus

pop et coloré, très graphique aussi, qui correspond à une véritable tendance. Je pense avoir un oeil « assez mainstream ». Peut-être pas assez pointu pour certains, mais je pense voir ce qui va plaire au plus grand nombre...

Mais est-ce vraiment nécessaire, en art contempora­in, de pouvoir plaire au plus grand nombre, quand le nombre de grands collection­neurs se limite à quelques milliers de personnes ? R.O. : Absolument ! Autant plaire au plus grand nombre, non ? A.E. : Lorsqu’on s’est décidés à faire cette collection, on ne s’est pas dit que le but était de plaire à tout le monde. On a pris les graffitis, qu’on a brodés sur des cuirs, on a peaufiné une somme de détails, des têtes de mort sur des petits boutons. On a joué avec les volumes, plus généreux sur les cuirs, des fourches très basses sur les pantalons de jogging, nous avons même mélangé broderie et sérigraphi­e… On s’est donnés à fond, mais à aucun moment on s’est dit : « Putain il faut qu’on cartonne avec ça. » R.O. : Mais sait-on jamais ! The sky’s the limit…

« AUTANT PLAIRE AU PLUS GRAND NOMBRE, NON ?» – RICHARD ORLINSKI

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