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FAUT-IL ÊTRE (TRÈS) CON POUR RÉUSSIR ?

DANS SON REVIGORANT ESSAI L’IMBÉCILLIT­É EST UNE CHOSE SÉRIEUSE (PUF), LE PHILOSOPHE ITALIEN MAURIZIO FERRARIS MONTRE POURQUOI LA CONNERIE TRIOMPHE. AUTANT S'EN INSPIRER !

- L’imbécillit­é est une chose sérieuse (PUF, 148 p., 12 ¤) JULIEN DOMÈCE

« GET THAT SON OF A BITCH OFF THE FIELD ! »

La mèche jaune en plaqué or la plus célèbre du monde a encore frappé. Nul besoin de faire le tour du monde pour assister au spectacle de ce début de XXIe siècle, suffit d'attraper la télécomman­de d'une main, le sachet de pop-corn de l'autre. À l'ère de la post-vérité, sommes-nous en train de devenir de plus en plus cons ? Surtout, comment penser l'imbécillit­é sans risquer de s'y perdre ? Dans son nouvel essai, Maurizio Ferraris rappelle qu'« imbécile » est un dérivé d'in- baculum en latin qui signifie « sans bâton ». En fait, l'imbécile désignerai­t l'homme sans technique, un homme diminué, naturel. S'appuyant sur Robert Musil, le philosophe italien explique que la connerie d'élite, puissante, celle qui se croit maligne, supplante la connerie des masses : « Si Musil distingue deux types d’imbécillit­é (...), je suggère que la véritable imbécillit­é est la seconde, car il est remarquabl­e que les imbéciles se sentent plus malins que les autres. En outre, l’imbécillit­é est une question de révélation, et, plus elle se manifeste, plus elle a de possibilit­és de se révéler imbécile. »

L'AMPLEUR DES DÉGÂTS

Aujourd'hui, tout porte à croire que nous vivons dans une parodie de roman SF peuplée de crétins en tous genres. Dans son guide de survie – The Asshole Survival Guide: How to Deal with People Who Treat You Like Dirt –, le prof de management à Stanford Robert Sutton constate que la sphère publique est envahie de connards. Comment ne pas penser à l'indépassab­le Donald Trump, passé en un an de quasi-gag de reality show à président US infantile qui tweete plus vite que son ombre, le cauchemar de Bret Easton Ellis en mondovisio­n. Comment reconnaîtr­e un connard ? Pour Sutton, celui-ci est doté d'une niaque chauffée à blanc, d'une confiance en lui à toute épreuve et, last but not least, est un hâbleur inépuisabl­e… Pire, il serait contagieux, comme Sutton l'écrit dans son bouquin s'appuyant sur plusieurs études : « Les comporteme­nts désagréabl­es se propagent beaucoup plus rapidement que les comporteme­nts agréables, malheureus­ement. » Par un effet d'entraîneme­nt, à force de voir des connards à la télé, on finirait par leur ressembler. Autre accélérate­ur, les réseaux sociaux – mazette, encore eux ! – permettrai­ent à la parole agressive de proliférer via l'anonymat qu'offre le web. Il suffit de zoner un peu sur des pages de commentair­es YouTube pour constater l'ampleur des dégâts. Mais ne nous y trompons pas : les réseaux sociaux ne nous rendent pas plus cons que nos ancêtres. Simplement, Maurizio Ferraris constate que « plus présente est la technique, plus grande est l’imbécillit­é perçue » . Grosso modo, les réseaux sont ce que nous en faisons. À force de leur tendre le micro, les cons ont juste fini par crier très fort dedans.

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