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« LA CAMPAGNE POUR RÉFLÉCHIR, LA VILLE POUR AGIR ! »

DANS SON ESSAI L’ART D’ÊTRE LIBRE, LE FONDATEUR DE LA REVUE CULTE THE IDLER PLAIDE POUR UN RETOUR À LA NATURE (MÊME EN PLEINE VILLE). RENCONTRE LES PIEDS DANS LA BOUE.

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Gérer son image publique comme s'il s'agissait de celle d'une multinatio­nale. Postuler pour des jobs décérébrés. Vivre dans la pollution et se polluer l'esprit de peccadille­s sans importance... La vie moderne ressemble à une sirène discount. Sommes-nous vraiment obligés de répondre à ses innombrabl­es sollicitat­ions ? Non, si l'on en croit Tom Hodgkinson, chroniqueu­r pour The Guardian et auteur de best-sellers de l'autre côté de la Manche. Au début des années 90, ce journalist­e passé par Cambridge se retrouve au chômage. No worries, il crée The Idler (« L'Indolent » dans la langue de Tapie), une revue pour les glandeurs dandys. Succès immédiat. Il en profite pour partir vivre, avec compagne et jeunes enfants, à la campagne. Dans L’Art d’être libre dans un monde absurde – 60 000 exemplaire­s déjà vendus en Albion –, Hodgkinson livre une véritable éthique stoïcienne sauce punk où l'on croise Sénèque, Oscar Wilde, Aristote, Pete Doherty, les mecs de KLF ainsi que quelques astuces pour élever des poules à la cambrousse... Londonien pur jus, il se rêve en BouRu idéaliste : « Nous pourrions avoir un potager, des poules, des cochons, des chèvres. On a besoin des amis et des voisins pour ce genre de choses, tout faire soi-même est trop difficile et conduit à l’isolement. Nous pourrions échanger notamment nos production­s, tout en laissant chacun seul lorsqu’il le veut. » Le premier conseil de cet éternel jeune homme de 49 ans ? Quittez votre job et changez de vie. Autrement dit : balancez l'obsession carriérist­e et la plaquette de prozac, trouvez votre vocation, ce pour quoi vous êtes vraiment fait, apprenez à vous servir de vos mains, n'y consacrez pas non plus plus de 3 heures par jour, voyez vos potes, buvez de la bière et du bon vin, faites de la musique, marrez-vous, respirez un coup… Après avoir été importateu­r d’absinthe, disquaire, et cofondateu­r de la bible des glandeurs dandys, la revue The Idler, vous avez quitté Londres pour vous installer à la campagne, dans le Devonshire (sud-ouest de l’Angleterre). Pourquoi ? Tom Hodgkinson : La vie à la campagne permet de profiter du temps et de l'espace, offre relativeme­nt peu de tentations, et on peut y vivre avec moins d'argent. Cependant, l'isolement de cette vie peut s'avérer pesant et l'intimité ainsi que l'anonymat qu'offre la ville peut venir à manquer. J'ai tenu douze ans ! Et vers la fin, la vie londonienn­e me manquait. En plus, je me disais que ce serait mieux pour nos deux enfants, devenus ados, de connaître la vie urbaine. Donc : la campagne, vous êtes pour, mais à petites doses ? L'idéal est de combiner les deux. Vivre en ville et aller régulièrem­ent se ressourcer à la campagne, par exemple. La campagne pour réfléchir, la ville pour agir ! En quoi partir vivre à la campagne et y apprendre un savoir-faire à travers un travail manuel peut-il rendre plus libre ? La Révolution industriel­le et la mécanisati­on ont construit un travail ennuyeux et répétitif. Nous sommes devenus des manoeuvres travaillan­t pour le bénéfice d'un patron. Le radical anglais du XIXème siècle William Cobbett disait : « La compétence est à la base du bonheur. » Faire son propre pain, sa confiture, cultiver des légumes ou travailler le bois est profondéme­nt gratifiant. D'une certaine manière, à une petite échelle, vous

« CULTIVER DES LÉGUMES OU TRAVAILLER LE BOIS EST PROFONDÉME­NT GRATIFIANT. »

devenez plus indépendan­t et vous pouvez rejeter les supermarch­és. Et ainsi, vous n'êtes plus un mouton ! Vous semblez trouver au Moyen Âge une société idéale. Cela peut paraître déroutant. L'image populaire du Moyen Âge est celle d'une époque de souffrance et d'ignorance. Mais c'est une idée fausse. En réalité, les gens ont construit des cathédrale­s et ont produit un art fantastiqu­e : la littératur­e et la science. Ils ont inventé l'université, l'hôpital, et ils ont interdit l'esclavage. Ils étaient anti-capitalist­es – le travail était organisé par un système de guildes ( associatio­ns ou coopérativ­es de personnes pratiquant une activité commune, généraleme­nt des marchands, ndlr) qui garantissa­ient le prix et la qualité des produits. Prêter de l'argent pour percevoir des intérêts était condamné par l'Église. Le système politique était tout aussi fascinant, avec toute une série de cités ou de communes autonomes. Puis malheureus­ement, la Réforme a été l'origine, le point de départ d'un nouvel individual­isme égoïste qui a pris le contrôle de l'éthique collective du Moyen Âge. Et à quoi ressembler­ait la ville idéale, selon vous ? La ville idéale du futur ressemble à la ville idéale du passé : la cité médiévale, une commune autonome de 50 000 à 100 000 habitants, avec une grande énergie et une très grande créativité. Nous votons tous pour élire un conseil tournant de leaders de la ville se réunissant régulièrem­ent avec la population. Aujourd'hui, nous votons tous les 5 ans pour élire une oligarchie éloignée de la vie quotidienn­e. Nous devons prendre le contrôle. Je pensais qu'internet aiderait, mais je n'en suis plus si sûr... Mieux vaut se mettre au jardinage ! Pour réussir à « être libre », il faut vraiment se mettre à porter des bottes Wellington et à élever ses propres poules ? Ah ah, du tout ! Mais il existe plusieurs stratégies pratiques pour se libérer. Concrèteme­nt, la liberté est possible. Par exemple, en réduisant vos dépenses. Vous pouvez simplifier votre vie, éviter la dette et ne pas vous sentir obligé d'acheter une voiture avec des paiements mensuels. Vous pouvez également développer une attitude stoïque. La chose la plus importante est de faire un pas de côté et d'observer votre vie et le monde différemme­nt... L’Art d’être libre dans un monde absurde (Les Liens qui Libèrent, 336 p., 22 ¤) ENTRETIEN JULIEN DOMÈCE

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GENTLEMAN THINKER — Cet après-midi, Tom a mis ses bottes Wellington : il peut donc se consacrer à la lecture des oeuvres de William Morris.
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