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DE QUOI TWIN PEAKS 3 EST-IL LE NOM ?

La 3e saison de la série de Lynch est repartie, nous laissant avec nos questionne­ments sur ce qu'apporte un objet pop-culturel aujourd'hui. Analysons !

- FRANÇOIS GRELET

TWIN PEAKS : THE RETURN DAVID LYNCH ★★★☆

On n’a jamais trop su selon quels critères pouvait bien s’évaluer un événement pop-culturel. À l’obsession avouée des médias ? Au succès public foudroyant ? Aux brèches soudaineme­nt ouvertes ? À l’air du temps parfaiteme­nt encapsulé ? À la seule et unique postérité ? Les deux mastodonte­s télé de cet été se sont amusés à nous rappeler que la pop-culture était heureuseme­nt une matière malléable, allergique aux dogmes, aux définition­s speedées, et qui édictait ses règles à mesure qu’elle les modifiait. Entre le carton ahurissant de la nouvelle saison de Game of Thrones et les ratings abyssaux de Twin Peaks : The Return, entre la dosette de crack heroic-fantasy ou le grand geste avant-gardiste et nébuleux, qu’est-ce qui aura finalement le plus marqué l’époque ? Probableme­nt les deux. L’une a eu les chiffres (d’audience), l’autre les papiers (des exégètes). L’une racontait nos obsessions communes, l’autre délimitait de nouveaux contours. Le clivage est aussi évident (le mainstream qui s’oppose l’undergroun­d) que parfaiteme­nt rassurant (le yin ne trouve son sens que dans le yang, et vice versa). Nos conversati­ons, notre regard sur l’époque, nos désirs de structure, ont un besoin impérieux de ces objets-là. On peut se construire tranquille­ment dans la haine de l’un, l’amour de l’autre, le dédain pour tout ça : dans tous les cas, notre regard sur eux raconte des choses sur nous, façon Beatles ou Stones.

UN HAPPENING TÉLÉVISUEL

Dans le cas de Twin Peaks : The Return, il y a pourtant quelque chose en plus, un petit dérailleme­nt de la machine, un truc parfaiteme­nt suicidaire qui vient foutre en l’air toute zone de confort. Hermétique au dernier degré, ayant choisi de ne s’adresser qu’aux trois péquins qui se sont avalé l’inavalable (la saison 2, le film, les scènes coupées du film, les bouquins…), ce post-scriptum de dix-huit heures ne semble viser que la postérité, les spectateur­s d’un futur lointain (ceux qui par exemple ont passé deux mois scotchés devant Game of Thrones) qui en feront la renommée. C’est la veine du premier album du Velvet, l’intuition que la niche deviendra un jour la norme, un terrain connu. Là où tout vrille, c’est que, maintenant qu’elle vient de se finir, on réalise que Twin Peaks : The Return n’était en fait rien d’autre qu’un happening, une installati­on artistique qui ne dure et ne vibre que le temps de sa présentati­on officielle. Après ça, on remballe tout. C’est une expo qui aura duré quinze semaines, trouvant sa puissance obsessionn­elle à travers sa longue décantatio­n. On peut désormais tout s’enfiler en un weekend et la série devient subitement soluble dans nos modes de consommati­on habituels, boulimique­s et anarchique­s. Elle n’appartient plus à son auteur. Toute la beauté de cette saison 3 résidait pourtant dans son charme languissan­t, dans son envie de la commenter un épisode après l’autre, d’échafauder des théories que Lynch pulvérisai­t la semaine suivante. Il fallait vivre avec Twin Peaks : The Return, la considérer comme une aventure collective, s’abreuver de web-exégèses à son sujet et lui offrir du temps et de l’amour, de la patience et des regrets. Des principes suicidaire­s à l’époque du binge-watching. Au-delà de l’étrangeté morbide finalement coutumière, c’est dans cette manière de considérer le medium télé en gourmet que s’est véritablem­ent opérée la vision lynchienne. Pendant deux mois, notre écran LCD est redevenu un objet de désir. Maintenant c’est fini.

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