UN AMOUR DE JOJO

L’Anglaise Jojo Moyes va encore faire pleurer les filles avec Les Yeux de Sophie. Et vendre bien plus de livres que plein de prétendants aux prix. Qui a dit tant mieux ?

JOJO MOYES LES YEUX DE SOPHIE (Milady, 670 p., 18,90 €) ★★☆☆

On vous ment, lorsqu’on vous dit que la rentrée littéraire a lieu désormais à la mi-août. La presse commence en effet à dégainer sur les dernières nouveautés sortant en Blanche ou chez ses concurrents, et les libraires commencent à faire péter les post-it sur les couvertures des romans potentiellement primables, deux mois et demi plus tard. La machine est lancée mais, au fond, les vrais enjeux économiques des grosses maisons se jouent-ils vraiment à ce moment précis ? On peut en douter, comme si cette effervescence littéraire cherchait à cacher les véritables planches à billets, littérairement a priori moins « fréquentables » mais dont les tirages ridiculisent 90 % des romans parus au moment où beaucoup de lecteurs dragouillent encore au Cap d’Agde.

UNE NOTULE DANS L’HUMA

Cette année, le mois de septembre nous a gratifié d’un Philippe Besson sur le président Macron, d’un pavé historique de Ken Follett, d’un Millénium tome V et d’un Dan Brown – tous deux en sortie mondiale. Autant dire, des blockbusters qui font prendre de la place dans les Relay et les Maisons de la Presse, et qui ne vont pas aider l’essor d’un petit roman ayant décroché une chouette notule dans L’Huma… L’avalanche va ainsi continuer en octobre avec des grosses machines méprisées par la plupart des médias dits « sérieux » mais qui raviront (à raison ou à tort) la majorité des lecteurs : Bernard Werber, Gilles Legardinier, Michel Bussi, Katherine Pancol, J. M. G. Le Clézio (ben quoi ?), Jo Nesbo, Dennis Lehane (on en passe). Sans oublier (tiens, encore une sortie mondiale…) le nouveau John Green, Tortues à l’infini. Mais il ne faudrait pas passer sous silence celle qui est plébiscitée par vos petites soeurs, vos cousines, la meuf de votre frère ou votre girlfriend à peine majeure, et dont vous n’avez jamais entendu parler : Jojo Moyes.

JOJO FAIT LE JOB

Cette ancienne journaliste britannique, aujourd’hui âgée de 48 ans, s’est imposée, sans faire de bruit, comme l’un des grands noms de la « romance » soft avec des titres comme Les Fiancées du Pacifique, La Baie des baleines, La Dernière Lettre de son amant ou Jamais deux sans toi. Mais c’est vraiment le tabac international d’Avant toi (près de 200 000 exemplaires en France et adapté au cinéma) et de sa suite, logiquement intitulée Après toi, qui lui ont valu un vrai statut de star. Dans le domaine du bon gros roman d’amour mélo avec son lot de clichés, rien à dire, Jojo fait le job – pour quiconque accepte une écriture-placebo et tous les clichés du genre. Et nul doute que son lectorat va se régaler avec Les Yeux de Sophie (oui, bon, le titre…), qui réunit le destin de deux femmes – une Française prise dans le conflit de 14-18, une veuve anglaise dans le Londres d’aujourd’hui –, à un siècle d’intervalle, par l’intermédiaire d’un mystérieux portrait qui révélera que le sacrifice et le deuil peuvent prendre bien des formes, en amour. Voilà, c’est bien fichu, efficace et on a même le droit de pleurer. Une telle lecture peut vous sembler honteuse, et c’est tant mieux. La contre-culture réside au fond davantage dans ces plaisirs coupables, que dans les produits de pseudorebelles calibrés pour l’émission de Ruquier. God bless Jojo !