Technikart

Cette casquette n’est pas à vendre, n’insistez pas*

- Laurence Rémila laurencere­mila@technikart.com

(La scène se déroule dans un bar de palace en pleine fashion-week. Une voisine de bar regarde mon accoutreme­nt avec un air amusé.)

Elle : Excusez-moi, c’est une Balenciaga ? Moi : La casquette ? Comment dire, j’ai pas le droit d’en parler avant le 7 mars.

– Ah ? (Le regard qui s’illumine.) C’est un prototype ?

– Mouais. Réalisé par une jeune créatrice pour le magazine Technikart. Mais elle n’est pas à vendre, hein.

– Je ne cherchais pas à…

– Mais n’insistez pas madame !

(Comme le disait notre maître à tous Bernard Tapie dans Hommes, femmes, mode d’emploi : « Avoir le sens des affaires, c’est ne jamais acheter ce qui est à vendre, et écrire “vendu” sur ce qu’on veut vendre. »)

En avril 2017, la vénérable maison Balenciaga, sous l’impulsion de son nouveau DA Demna Gvasalia (l’enfant terrible derrière la marque Vetements), mettait en vente un « Carry Shopper L », beau sac de courses vendu 1 695 euros. Tout ceci serait parfaiteme­nt banal – si ce n’est que l’objet est d’un bleu sulfate rappelant furieuseme­nt celui des sacs Ikea vendus 80 centimes à tout consommate­ur passant son dimanche à errer dans un de leurs hangars. La planète entière – blogueurs, fashionist­as, humoristes, votre serviteur – ricane. Tout le monde, en fait, à part les comptables de la maison Kering (maison-mère de Balenciaga) : en deux ans, grâce au jeune punk à la tête de Balenciaga, la marque regagnait de son cool – ce qui n’a pas de prix.

Depuis, les marques de mode – aussi bien les leaders que les challenger­s – semblent s’être donné le mot. Balancer un gimmick WTF par saison afin de paraître cool aux yeux de la millenials de la « génération

2025 » (surnom donné par les marketeurs). Celle-ci est composée de gamins qui pourront, espèrent-ils, s’offrir leurs produits dans quelques années. (Cet espoir concerne uniquement les jeunes Européens : les jeunots les plus friqués des pays émergents dépensent déjà un max.)

Moralité : quelques dizaines de personnes se sont offert ce sac risible capable – quasiment à lui seul, grâce aux milliards de commentair­es qu’il a suscités – de relancer une marque de luxe (+10 % de CA pour Balenciaga au premier semestre 2017).

En attendant, je vous en supplie, vous, lecteur en train de feuilleter ce magazine chez votre kiosquier habituel : NE L’ACHETEZ SURTOUT PAS.

*Et vous, chère inconnue du Bristol intriguée par ce couvre-chef : N’ÉCRIVEZ SURTOUT PAS à laurencere­mila@technikart.com. Même à 350 euros TTC, c’est non.

Et vous, annonceur chéri, N’APPELEZ SURTOUT PAS le 0147234980 en demandant notre service commercial.

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