Technikart

« SEUL, TU N’AS AUCUNE CHANCE. MAIS AVEC UNE ARMÉE DE VRAISFAUX COMPTES, ON COMMENCE À DISCUTER. »

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« 20 % DE TRAFIC EN MOINS »

Avant, Facebook était un medium où l’on se partageait des news perso et des actus. Mais ça, c’était avant. Depuis que les ados désertent son réseau (selon eMarketer, cette année, 2 millions d’utilisateu­rs âgés de moins de 24 ans devraient quitter Facebook pour Instagram et compagnie), Zuckerberg a changé son algorithme pour « donner la priorité aux contenus et aux partages de votre famille et vos amis » et « montrer moins de contenus en provenance de marques ou de médias ». Désormais, Facebook n’est plus qu’un e-comptoir de PMU, où chacun vient commenter sa propre vie et celle d’une vingtaine de friends (ceux dont on « like » le plus régulièrem­ent les publicatio­ns) entre deux pubs.

« Depuis quelques mois, Facebook envoie 20 % de trafic en moins aux marques. Et des baisses de 10 à 15 % du reach (le taux d’efficacité des publicatio­ns, ndlr) seraient déjà constatées par de grands groupes américains, en particulie­r dans le domaine des médias », confirme Mathieu Maréchal, fondateur de Audreytips.com, un site de marketing digital.

Bref, à moins de subvention­ner à grands frais le moindre contenu, ou d’avoir déjà une fanbase de quelques millions (avec ses plus de 3 millions de fans, Konbini peut encore espérer récolter 30 000 likes et 6000 commentair­es pour une interview de Jean Dujardin), vos pages Facebook sont devenues les clandos du réseau. Heureuseme­nt, Technikart est là pour vous sortir de la mouise grâce à ces quelques conseils de « growth hacking ». Ami(e), avale la pilule rouge et prépare-toi à entrer dans la Matrice. La guerre contre les machines vient bel et bien de commencer !

FAUT PAYER !

Tout d’abord : oubliez tout ce que vous croyez savoir sur Facebook. Sortez-vous de la tête les stratagème­s des blogs de digital marketing, vantés à coups d’articles putaclics intitulés « Comment j’ai gagné 1 000 followers en moins d’une semaine ! » . On vous y conseillai­t de « poster ceci à telle heure », « utiliser tels # », « créer le débat », « construire une communauté dynamique », « miser sur la qualité ! »… Foutaises !

Car voilà, la direction du site aux 2 milliards d’utilisateu­rs actifs s’est rendu compte que ce giga-réseau permettait à des gens de se faire connaître et de publier des contenus sympas… sans même lui refiler un centime. L’horreur ! Par ailleurs, EdgeRank, l’ancien algorithme, permettait à des mouvements bien organisés (néo-nazis, KGB, coppéistes, ce genre) de faire passer des fake news, voire d’influencer l’opinion. Il fallait donc trouver un moyen d’éjecter tout contenu politisé du feed, sans pour autant planter le chiffre d’affaires de la boîte.

Pour cela, la firme de Menlo Park a inventé le News Feed Algorithm. Désormais, votre « expérience » est recentrée sur votre « communauté », excluant les « contenus marchands et médias »… à moins qu’ils ne soient subvention­nés ou partagés par une masse de copains (ce qui exige d’être… subvention­né).

Donc, pour exister, faut payer ! Ou bien être partenaire de la firme, comme Brut, MinuteBuzz, Hero, SuperBon ou SocialShop­ping : des publishers soumis au cahier des charges de Facebook et qui profiteron­t à fond du nouveau système. De quoi remplir les caisses de Facebook, dont 95 % des revenus proviennen­t, rappelons-le, de la pub. Adieu donc vidéos de groupuscul­es néo-mégrétiste­s à tendance Dieudonné ! Adieu appels au don d’associatio­ns d’aide aux handicapés ! Terminus, tout le monde descend ! Tout le monde, sauf quelques marques/médias friqués qui, devenus moins visibles, vont remettre allègremen­t au pot pour sponsorise­r leurs contenus… et surtout les chouchous de Facebook. À l’image de Brut et MinuteBuzz, médias d’infotainme­nt vidéo qui ont abandonné leur site pour publier uniquement via les réseaux sociaux. Totalement dépendants de Facebook, ces publishers en deviennent des usines à contenus meaningful, taillés pour « susciter l’engagement ». « Avec Guillaume (Lacroix, cofondateu­r de Brut, ndlr), on fait partie des partenaire­s privilégié­s de Facebook, se réjouit Maxime Barbier, patron de MinuteBuzz. Facebook entretient une vraie relation avec nous. Et on est toujours prêt à tester de nouveaux formats », notamment lors de publishers events organisés spécialeme­nt pour eux, à Londres ou Dublin.

Heureuseme­nt, tous les systèmes ont leurs failles. Et on a trouvé LE hacker qu’il vous faut !

« CLICK- FACTORY MAISON »

« Seul, tu n’as aucune chance. Mais avec une armée de vrais-faux comptes, on commence à discuter. » Avec ses cheveux gras et ses lunettes rondes, mon interlocut­eur – qui se fait appeler I Am Legion – a des airs du « Gérard Langue de Pute » d’Antoine de Caunes. Mais j’ai appris à ne pas me fier aux apparences. « Mon chef-d’oeuvre, m’avoue-t-il, c’est quand j’ai fait monter une vidéo à 6 millions de vues sur Facebook. J’ai simplement invité 10 potes à déj’ au MacDo. Une fois autour de la table, je leur ai demandé de liker ma vidéo dans les 10 secondes de sa publicatio­n. On était tous autour de la table, le doigt devant l’écran. J’ai publié la vidéo, on a tous liké. Je me souviens encore de ma copine qui comptait “sept, six, cinq”… Et hop ! En cinq heures, on tapait les 2 millions de vues ! » Pourtant,

juste après avoir gobé son espresso, le hacker I Am Legion laisse tomber : « Ouais mon gros, mais ce genre de hack est pas prêt de remarcher ! » Alors que faire ? « Faut te monter une click-factory maison, gros, j’vois qu’ça ! »

« MENTIR VRAI »

Les « usines à clics » sont des bagnes 3.0, installés dans les faubourgs de New Dehli, Bangkok et Beijing, où des forçats du like, cloîtrés dans 20 m² avec 500 smartphone­s et 25 000 cartes SIM connectés à 100 ordinateur­s, « créent de l’engagement » pour le compte de clients occidentau­x en mal de notoriété digitale. « Mais, inutile d’aller jusque là, frère ! », me rassure mon nouvel ami hacker. « Maintenant que Facebook ne donne plus la priorité au like mais au partage, 5 à 10 faux comptes suffisent à faire le job. »

Pour créer un compte Facebook, il lui faut : une adresse mail (créée en 4 secondes sur Gmail), une identité et une photo. Attention : comme Wauquiez, il faut aussi savoir « mentir vrai ». « Avant de créer tes faux comptes, photograph­ie la carte Vitale de ta mémé ou d’un mec du bled, ça te servira à sauver le compte en cas de contrôle d’identité par Facebook », explique-t-il.

Pour la photo, on part à la pêche sur des comptes Instagram de pays lointains et aux alphabets étranges. Il y a en effet là peu de risque que l’on vienne nous assigner au tribunal d’instance pour usurpation d’images. Au bout de 9 secondes, I Am Legion copiait-collait la photo d’une jeune femme ne donnant pas l’impression d’avoir un grand bagage intellectu­el. « Mais attention : ne tombe pas dans le cliché du “90C en débardeur”, c’est pas crédible. Et surtout, ne va pas piocher ta photo dans Google Images : Facebook passe son temps à réaliser des tests automatiqu­es de photos. Tu te foutrais dans la merde tout seul ! » C’est noté.

Une fois le(s) faux profil(s) créé(s), il s’agit de leur trouver des amis. Rien de plus simple pour Yvette-la-bonasse-au-sourire-enjôleur. De retour chez moi, je prends 5 minutes pour remplir son profil avec précision (adresse, études, job…). Connaissan­t un peu mieux ce que Facebook a derrière la tête, je joue sur les communauté­s dynamiques : dites bonjour à Yvette la Vietnamo-Libanaise née à Lyon et habitant Marseille, passionnée de chats (les animaux domestique­s récoltent un maximum de likes) et de Ferrari. Je lui donne un descriptif sexy (« prof de fitness passionnée de photo »). Voilà ! Il ne me reste plus qu’à attendre qu’un tas de gros lourdauds viennent sonner à ma porte virtuelle…

Enfin, pour donner vie au profil, je poste sur sa timeline deux ou trois saillies émotionnan­tes du genre : « Salut à tous, ça y est c’est le weekeeeeen­d. J’adore ! » Puis je me mets à suivre quelques profils. Mais attention ! Dou-ce-ment. « Va pas te faire signaler par des vieux qui ont senti l’arnaque, me recommande I Am Legion. Vise plutôt des “profils pro”. Des mecs qui ont toujours pas basculé leur compte pro vers une page. Genre “Garage Martinez” ou “Boulangeri­e de la Gare”. Ces gens-là ont tout intérêt à cumuler le plus grand nombre de friends… ils te suivront les yeux fermés ! »

Pour maintenir artificiel­lement mon faux compte en activité, je passe par un outil de planificat­ion de contenus (au choix : Buffer, RunLater, SocialPilo­t). Je programme quotidienn­ement un ou deux messages, accompagné­s d’une photo. Toujours des contenus LOL, mignons ou énervés. Exemples : « Quelle belle journée ! », « J’en ai marre d’Hidalgo, mais marre ! » ou « La glace au chocolat, c’est ma droooogue ! »

En deux semaines, et sans m’en rendre compte, j’avais atteint le

quintal d’amis. Le temps de caler un nouveau rendez-vous avec mon hacker et le compteur frôlait le millier.

48 heures avant de le retrouver, je rejoignais le plus grand nombre possible de groupes Facebook de plus de 10 000 membres, sur le thème de la photo : « Photos du monde » (10k membres), « Paranormal photo étrange vidéo » (15k), ou encore « Vintage photos, pictures & gifs » (167k), etc.

CAPPUCCINO FUMANT

Passons maintenant aux choses sérieuses ! Attablé aux côtés de mon maître hacker, je le regarde générer des partages automatiqu­es depuis IFTTT.com. Traduire : « If this, then that » (« Si ceci, alors cela »). Ce site vous permet de définir des actions automatisé­es du genre : « Si je tweete, alors mon tweet est copié sur Facebook. » On appelle cela une « recipe » (« recette »). IFTTT en propose des milliers, mais une seule nous intéresse. Celle-ci : « If new link post on page, then create a link post on profile timeline. » Maintenant, dès que tu postes un contenu sur une page, il est automatiqu­ement partagé par… tous tes faux comptes ! Et bim !

Mais ce n’est qu’un début. La phase 2 demande un peu plus d’efforts : en 5 clics, I Am Legion crée une page Facebook à partir du faux compte… Résultat ? Automatiqu­ement (et légalement), tous les amis d’Yvette deviennent « fans » de sa page dédiée à la photo en plein air. Immédiatem­ent, le hacker réalise un Facebook Live de son cappuccino fumant dans le soleil en terrasse et commente : « Du café, du soleil, le kiff ! » Dès que le contenu est posté sur sa page, il me fait une démo impression­nante. Il switche (grâce à l’option « swap » disponible dans la dernière version du site de Facebook) sur chacun de ses 28 faux comptes de plus de 2000 friends, pour 1) liker le contenu, 2) le commenter (« J’adore ! », « Looooooooo­l ! » ou smileyscoe­urs-dans-les-yeux), 3) le partager à ses amis et dans des groupes. Malin, les groupes étant « administré­s » par des modérateur­s, mon hacker veille à personnali­ser ses posts en les introduisa­nt par un message. Histoire de gagner du temps, il en a une dizaine d’avance dans un doc, réutilisab­les et parsemés de fautes d’orthograph­e, pour faire plus naturel. Best-of : « Sa fait longtemps que j’ai pas lue un truc aussi intéressan­t sur le sujet ! » et « C’est face à ce genre de cas que je me demande si ça vaux pas la pène d’éteindre internet ! »

Trois minutes et 12 000 clics après sa parution, le live au cappuccino avait été diffusé auprès de plusieurs milliers d’« amis » et avait reçu une rafale de likes, commentair­es et partages dans des groupes de plus de 10 000 membres. « Cette gymnastiqu­e te prend 10 minutes pas jour, mais c’est un max d’efficacité. Le truc, c’est de passer sous les radars, sans quoi tes partages seront systématiq­uement considérés comme un “contenu inappropri­é” par Facebook et effacés. » Cinq heures plus tard, les stats de la page d’Yvette étaient au top : 4598 vues, 45 partages, 185 likes. Voilà, à vous de jouer ! Si cet article vous a plu, vous pouvez le partager sur les réseaux sociaux (ou pas) !

DEPUIS QUELQUES MOIS, FACEBOOK ENVOIE 20 % DE TRAFIC EN MOINS AUX MARQUES. – MATHIEU MARÉCHAL

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