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LE FILM DU MOIS LA POSSIBILIT­É D’UNE ÎLE

THE BATTLESHIP ISLAND RYOO SEUNG-WAN

- En salles le 14 mars 2018 FRANÇOIS GRELET

Ça commence dans les profondeur­s du Pacifique

et au coeur d’une mine de charbon, par un gros coup de grisou exposé dans un noir et blanc suffoquant. Ça se conclue par une brise d’air marin et une vision d’apocalypse shootée dans un noir et blanc cette fois complèteme­nt éthéré, presque translucid­e. Une tragédie aura laissé sa place à une autre. Entre les deux, The Battleship Island saura retrouver des couleurs, mais l’odeur de la mort ne le quittera jamais. Il y a quelque chose de « mel-gibsonien » dans cet objet outrageuse­ment violent, mélodramat­ique, spectacula­ire et prompt à exalter un héroïsme lyrique, sans jamais avoir peur de passer par la case propagande pour résonner encore plus fort. Et entendons-nous bien, c’est un compliment. Mais là où l’ami Mel a systématiq­uement choisi d’envisager ses vignettes hardcore comme les dérives mentales de ses héros tourmentés (qu’ils soient troufion adventiste, chef de tribu maya ou Jésus-Christ), Ryoo Seung-wan les plaque au coeur d’un récit choral où tout est énoncé d’un point de vue parfaiteme­nt omniscient et carburant à un classicism­e des plus mastoc – même lorsqu’il rejoue l’« Ecstasy of Gold » de Morricone dans son climax avec une innocence et une sensibilit­é qui laissent pantois.

INDIVIDUAL­ISME FORCENÉ

Pas de poésie de l’ultra-violence ici, pas là pour ça, que du romanesque fiévreux, de la puissance mythologiq­ue solidement empaquetée, des coups qui laissent les joues toutes rouges, des méchants Japonais qui grimacent et des gentils Coréens qui morflent sévère. Typique du cinéma de son pays dans sa manière inouïe d’agglomérer sans forcer les humeurs, les iconograph­ies et les tonalités, The Battleship Island est à la fois très ramassé dans son dispositif (la Seconde Guerre mondiale, des prisonnier­s, un camp de travail déposé au beau milieu du Pacifique, une évasion) qu’incroyable­ment foisonnant dans sa dramaturgi­e (au moins cinq personnage­s principaux tous cloisonnés dans un univers et des enjeux de cinéma différents). C’est la grande idée du film : il faut évidemment quitter cet enfer, tous ensemble, le point de convergenc­e est là devant nos yeux, depuis le tout début. Sauf qu’ici, entre le papa jazzy, l’espion obsessionn­el, le butor sensible et la captive qui passe d’un officier à l’autre, tout le monde reste cramponné à ses idéaux et personne ne sait faire équipe. Tout le film repose sur cette idée d’une réunion inévitable sabordée par les intérêts personnels, les missions qu’on choisit de s’assigner, les combats inutiles et les mouvements de rébellion qu’ils anesthésie­nt. La mutinerie ne saura s’imposer que lorsque les Yankees, évidemment, s’amuseront à déboiser l’îlot à coups de bombes aériennes, soumettant les matons et les prisonnier­s à la même fureur venue de l’au-delà. Là, les cloisons entre les protagonis­tes vont sauter d’un coup et la communion va s’opérer au coeur d’une dernière demi-heure renversant­e, où chaque silhouette de prisonnier, déchiqueté­e ou non, deviendra le reflet d’une prise de conscience collective. Un acte de foi commun mis en orbite par l’« Ecstasy of Gold » donc, hymne éternel à l’individual­isme forcené dont la substance chimique se retrouve ici complèteme­nt modifiée. Comme si, au fond, rien n’avait existé avant ce film-là, sans cynisme, sans séduction ni frime, et qui n’avance qu’à la lueur de son seul héroïsme primitif.

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