Technikart

FONDATION CARTIER

ALAIN-DOMINIQUE PERRIN

- PAR FABRICE DE ROHAN CHABOT & LAURENCE RÉMILA

Dernier étage de la Fondation Cartier, Paris 14ème, un matin de février. Nous sommes dans le bureau d’Alain-Dominique Perrin. Au début des années 80, il décide de créer une fondation pour soutenir les arts. À l’ouverture de celle-ci en 1984, son grand ami César y est exposé. Depuis, les exposition­s se suivent – et ne se ressemblen­t pas. Alors que le mécénat artistique est devenu le « must-have » pour tout groupe de luxe, nous retrouvons celui qui en est à l’origine pour un état des lieux. Homme d’affaires à la gouaille Audiard-chic, il nous reçoit dans son bureau lumineux, avec vue imprenable sur tout Paris.

Aujourd’hui, chaque grande marque a sa fondation. Mais lorsque vous créez celle- ci dans les années 80, vous êtes les seuls. D’où l’idée vous est- elle venue ?

Alain- Dominique Perrin : À l’époque, lorsque la vague socialiste est arrivée, beaucoup de choses ont changé. Je n’oublierai jamais un déjeuner en 81 avec l’ancien patron de Renault, Pierre Dreyfus, devenu ministre de l’Industrie. Un homme que j’admire énormément. Au cours de notre conversati­on, je comprends que nous, les « gens du luxe », avons été trop encombrant­s, et que cette nouvelle intelligen­tsia socialiste n’allait pas forcément vivre en bonne entente avec nous.

Vous pensiez vraiment que ça pouvait mal se passer ?

J’avais en tête le fait qu’en 78, déjà, Jacques Attali était venu voir Robert Hocq (à l’époque le PDG de Cartier, ndlr) en lui disant qu’il était fortement question de nationalis­er Cartier lorsque la gauche serait au pouvoir ! Bon, on s’est un peu marré. On lui a dit : « Avez-vous bien étudié le problème, Jacques ? Cartier est une boîte suisse depuis 1933. » (Rires)

Et peu de temps après, vous décidez de créer une fondation Cartier dédiée à l’art.

Je cherchais une idée pour que Cartier devienne un mécène. Et je ne voulais surtout pas que Cartier sponsorise une équipe de foot comme tous les autres ! À cette époque-là, nous étions assaillis par la contrefaço­n. J’avais demandé à César de faire des compressio­ns avec ce que je détruisais et je lui avais expliqué que je voulais aider les artistes à ne plus se faire contrefair­e. On a donc mis nos avocats à dispositio­n des artistes dont l’oeuvre était contrefait­e. Mais très rapidement, on s’est rendu compte que les artistes s’en foutaient. Quelque part, ça leur faisait un peu de gloire ! J’en ai reparlé avec César, et au cours de la conversati­on, il m’a dit : « Je préfèrerai­s que vous mettiez votre pognon dans nos expos.

Moi, je rêve d’exposer à Beaubourg, mais ces cons ne m’exposeront jamais ! » ( César la rétrospect­ive, démarrée le 23 décembre, se tient au Centre Beaubourg jusqu’au 23 mars, ndlr.) (Rires) C’est parti comme ça. On a décidé de devenir une marque

« JE NE VOULAIS SURTOUT PAS QUE CARTIER SPONSORISE UNE ÉQUIPE DE FOOT ! »

plus institutio­nnelle, à travers la défense et le soutien de l’art. On a donc créé la Fondation Cartier – qu’on a d’abord installée à Jouy-en-Josas puis ici, dans ce magnifique bâtiment de Jean Nouvel, en 1994 – et, bien évidemment, le premier à y être exposé, c’était César.

Vous vous êtes battu pour que le mécénat d’entreprise – encore fiscalisé à l’époque – obtienne le même statut que le sponsoring sportif.

Le ministre de la Culture François Léotard m’a demandé de bien vouloir mener une mission de développem­ent du mécénat en France. Et, en juillet 1987, la « loi Léotard » sur le développem­ent du mécénat a été votée. Celle-ci permet aux entreprise­s de déduire une grande partie de leurs dépenses culturelle­s de leurs impôts sur les bénéfices.

Trente ans plus tard, chaque grande marque de luxe – Prada, LVMH, Hermès… – a sa fondation.

C’est tout ce que je voulais : que les artistes soient aidés. On a déclenché l’intérêt des autres marques de luxe pour l’art, certes, mais on a aussi ouvert les yeux de certaines institutio­ns traditionn­elles françaises quant aux artistes qu’elles snobaient. Quand je vois Beaubourg rendre hommage à César, j’en suis fier !

La Fondation Cartier a organisé des centaines d’exposition­s, mais – contrairem­ent à Louis Vuitton par exemple – vous refusez les collaborat­ions entre la marque et les artistes. Pourquoi ?

C’est vrai : j’interdis formelleme­nt qu’on utilise le travail des artistes que nous aidons. Tout comme j’interdis à ces mêmes artistes de se mettre dans l’idée qu’ils vont participer à la création de nos produits. Quand Vuitton fait travailler Murakami – qui a été exposé ici – sur ses sacs, je pense qu’il fait beaucoup de tort à l’artiste Murakami, et à ce qu’on retiendra de son oeuvre. Ceci dit, j’ai énormément de respect pour ce que Bernard Arnault fait avec la Fondation Louis Vuitton. Voilà ce que nous devrions tous nous répéter : une fondation, sinon rien !

Fondation Cartier, 261 boulevard Raspail, Paris 14e

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