FAITES DES BÉBÉS !
INSTAMIOCHES, CONJOINTS DE SUBSTITUTION ET BÉBÉS-TOTEMS… QUAND TOUT DEVIENT BIDON – MÊME LE COUPLE –, IL RESTE TOUJOURS LES ENFANTS ! TECHNIKART A POUPONNÉ CHEZ CES « PARENTS MALGRÉ TOUT » QUI FONT DES BÉBÉS POUR DEVENIR (ENFIN) ADULTES EN ATTENDANT MIEUX
Paris 16ème. « Si même elle, elle se met à faire des mioches ! », persifle mon épouse en entendant les braillements de notre voisine avocate de 43 piges. Dix ans qu’elle s’épuisait à chercher un mec à la hauteur. Mais l’an dernier, elle a ressenti comme une urgence et pris l’avion pour un centre de PMA en Espagne. À présent, la voici « freelance-mother ». Bienvenue la superdaronne en solo ? Le lendemain matin, je suis au Forum des images (Paris 1er) pour une séance « jeune public » (destinée aux mouflets de plus de 18 mois). Je peine à garer la poussette de la petite (3 ans) dans l’océan de Yoyo Babyzen, la marque préférée du bobo urbain (elle coûte 600 euros, pèse 6 kilos et est conçue pour se glisser dans le plus riquiqui des ascenseurs). Sur une banquette, face à l’écran, je reconnais Laura, une pote de promo, et aperçoit son fils, Gabriel. La voici maintenant à la tête d’une famille homomono-parentale. En clair : elle s’est mariée avec sa compagne, a accouché, puis divorcé. Le parfait symbole de l’hypermodernité ? L’après-midi, à la piscine Jean Taris (dans le 5ème, tout près du Panthéon), le cours de bébés nageurs bat son plein. Alors que nos petits barbotent, je sympathise avec Alain, père célibataire. Il finit par se raconter : son couple battait de l’aile, mais son désir de bébé – ainsi que celui de sa bientôt ex-compagne – était plus fort que tout. Désormais, les parents séparés se partagent leur fille de 3 ans, Gabrielle. L’aventurier des temps modernes – pour reprendre la célèbre formule de l’écrivain catho Charles Péguy (lequel attribuait ce sobriquet, en 1910, au courageux « père de famille ») – serait-il le « co-parent » ? Alors que le taux de fécondité ne cesse de baisser (une moyenne de 1,88 gosse par Française, contre 2,03 en 2010), une petite tranche de la population – urbaine et bobo – semble éprise d’un étrange et subit désir de faire des bébés. Un désir que rien ne semble pouvoir réfréner : ni les contraintes de leur carrière, ni les doutes sur leur couple, ni même les lois de la nature. Ce désir d’avoir un petit être braillard et crasseux dans les pattes serait-il en train de supplanter celui de réussir sa vie de couple et sa carrière ? La réponse après le prochain biberon…
NOUVELLE PHILOSOPHIE
« Je n’en reviens pas !, s’étonne, avec le sourire, Martine V., directrice de crèche municipale dans le 3ème arrondissement de Paris. Ça faisait six ans qu’on perdait des enfants, et voilà que cette année on est presque au complet ! » On croyait les élites urbaines (nous sommes ici dans le Marais, donc en plein coeur du réacteur bobo) obnubilées par leur vie pro, repoussant toujours plus loin le moment de faire un enfant, histoire de laisser décoller la start-up de papa, d’assurer un CDI à maman (ou vice versa) et d’économiser pour acheter un T3 atypique avec parking boxé dans un quartier en gentrification. Mais « parmi mes nouveaux patients, observe Marie-Sophie, pédiatre à Necker, le schéma familial classique “emploi stable + mariage + achat du logement”, plus ou moins dans cet ordre, perd du terrain, au profit d’une nouvelle philosophie que je
résumerais par “Faisons un gamin, on verra bien !” ». Son constat est confirmé par David, créateur d’un service de portage salarial (une formule d’emploi qui permet aux freelances de profiter des avantages d’un CDI… en filant plus de la moitié de leurs revenus pour payer les charges sociales et la boîte gérant le bordel). Il explique comment certains échafaudent des stratégies machiavéliques pour faire un bébé malgré la précarité : « Récemment, j’ai vu des auto-entrepreneuses d’une trentaine d’années signer un contrat de portage salarial uniquement pour bénéficier des indemnités de congé maternité. » Traduction : certains futurs parents sont prêts à gagner nettement moins s’ils peuvent bénéficier des avantages familiaux du statut de salarié, à commencer par celui du congé maternité… Sur le plan familial, il apparaît évident que le désir d’enfant a largement supplanté le désir de couple. En 2017, chez les CSP+, l’Insee comptait 6 naissances sur 10 hors-mariage. Un record historique. En outre (et en même temps), le pays a connu une hausse exceptionnelle des divorces de jeunes parents : « Désormais, un quart à un tiers des couples se séparent dès les premières années, voire les premiers mois du bébé », estime le psychiatre Bernard Geberowicz. Ce qui explique ces couples décidant d’avoir des enfants alors qu’ils sont déjà, plus ou moins, en train de se séparer… Octave, 42 ans et « co-parent » d’un petit Marcel depuis dix ans, en témoigne : « Quand mon fils est né, beaucoup nous ont demandé “Pourquoi avoir eu un enfant alors que ça n’allait déjà pas fort entre vous ?” Et nous de leur répondre : “L’important, ce n’est pas notre couple, c’est l’enfant” »…
« L’ELVIS DE LA FERTILITÉ »
Et l’horloge biologique, on en parle ou c’est has-been ? Car aujourd’hui, même les lois de la nature ne peuvent résister à la puissance du désir de bébé chez les trentenaires et les quarantenaires les plus téméraires. Grâce au génie de la science, les Françaises de moins de 43 ans peuvent s’offrir une fécondation in vitro (FIV) pour 4 300 euros, remboursés par la Sécu. Résultat ? Un bond dans le nombre d’enfants issus d’une procréation médicalement assistée (PMA)… Bientôt, à l’instar de leurs cousines newyorkaises, nos bachelorettes quadras rejoindront des clubs de femmes « forty and fabulous » et organiseront leurs propres « egg freezing parties » : des « réu tupperware » pour découvrir comment congeler ses ovules en toute sécurité. Enfin, pour les 40 % qui n’auront pas gagné à la loterie de la FIV (et pour les couples d’hommes homosexuels), il reste l’option GPA (gestation pour autrui, via une mère porteuse). Une pratique interdite en France, mais tolérée en Belgique et légale outre-Manche ou en Grèce. D’ailleurs, du côté d’Athènes, on assiste à la naissance d’un véritable tourisme procréatif, surtout autour de la clinique Génésis du docteur Konstantinos Pantos, surnommé « l’Elvis de la fertilité », qui revendique plus de 20 000 FIV en quatorze ans de pratique…
« TOUJOURS ENSEMBLE »
Mais la grande future tendance qui résume au mieux cette nouvelle ère de l’après-« famille nucléaire », c’est le « co-parenting ». Quoi de mieux, en ce XXIème siècle naissant, que de faire un bébé entre amis ? Prenez mon amie Laura, croisée au Forum des images. Elle m’a raconté comment, un soir de réveillon, elle a décidé d’avoir un enfant avec Harvey, son pote gay. Ils ont procédé par insémination artisanale et, à la naissance, ont fondé un
« LE SCHÉMA FAMILIAL CLASSIQUE “EMPLOI STABLE + MARIAGE + ACHAT DU LOGEMENT” PERD DU TERRAIN. » – MARIE-SOPHIE, PÉDIATRE
« co-foyer » : elle, le bébé, Harvey, et le boyfriend du géniteur. Ils ne vivent pas sous le même toit, mais « le papa est comme mon frère, on s’adore, on passe le dimanche chez sa maman, on se voit trois fois par semaine, et notre fils s’adapte très bien », me raconte la mère. Ils parlent même d’avoir un deuxième enfant, « toujours ensemble ». « Pour beaucoup de monde, explique Franz Schnell, fondateur du site Co-parents.fr, la co-parentalité est la mise en place d’un système de partage de l’enfant après un divorce. Pour nous c’est différent, c’est un choix, une volonté d’élever un enfant, certes dans deux domiciles différents, mais dans l’amour et le partage, et non pas dans la déchirure d’un divorce ou d’une séparation. » Autrement dit, le co-parenting permettrait de s’affranchir des contraintes familiales, tout en assouvissant son désir d’enfant. De quoi séduire les millenials, dont le slogan est « Tout, tout de suite » ? Selon le sociologue Michel Fize, « l’individualisme forcené du
monde contemporain tend à renforcer cette tendance ». La philosophie du moment se résumant à « Les autres, oui, mais s d’abord s’ils me sont utiles », le « co-parenting » devient le e modèle familial le plus à même de nous aider à affronter er les vicissitudes de l’époque. Celui conçu pour un couple e « contractuel », où l’amour aveugle cède la place à de sages calculs. Un modèle d’avenir dans un pays, le nôtre, où 45 % des mariages finissent par un divorce… « CONJOINT DE SUBSTITUTION » « Dans ce monde de brutes et de faux-semblants, le bébé pourrait bien être la dernière valeur sûre », me confiait récemment Michelle, une juriste reconvertie dans l’élevage de d son bébé (et, accessoirement, la création d’un site de vente par correspondance de ses vêtements pour bambins). Si nos « valeurs refuges » se résumaient, pendant plus d’un siècle, à « la famille, le travail, les amis », ce triptyque semble désormais totalement out. En vingt ans, la famille s’est décomposée, le travail précarisé et l’amitié délitée. Ce qui nous reste ? Le bébé, cette prolongation de soi qui ne nous quittera jamais (ou presque), ne nous virera pas pour faute grave (ou alors, exceptionnellement) et ne nous piquera pas notre conjoint au hasard d’une soirée arrosée (enfin, on l’espère). Avec sa démarche chaplinesque et son rire naïf, le bébé incarne une rare bulle de pureté, de perfection et d’innocence, dans un monde où tout semble souillé, dégradé et truqué. Il reste l’unique îlot de stabilité dans une société de plus en plus instable. En effet, quoi de mieux pour s’arracher à la vanité et la vacuité de l’hypermodernité (l’ego à mettre en avant sur les réseaux sociaux, les couleuvres à avaler pour avancer professionnellement) que d’essuyer un cul-cul plein de diarrhée à 4h22 du mat’ ? Mieux : alors que tant de valeurs ont été galvaudées dernièrement, et que l’identité sociale ne passe plus ni par la culture (tout le monde sait qu’il faudrait écouter ce Moha La Squale) ni par nos achats (dur de frimer, même avec son iPhone X), le bébé s’impose comme le dernier signe extérieur de richesse et de bien-être. Un véritable « bébé-totem » apportant à ceux dont l’existence s’apparentait à une longue et morne dépression, l’attention dont ils-elles manquaient tant. « Aux yeux des enfants, le parent représente quelque chose d’unique, explique le psychologue Sébastien
« LE PAPA EST COMME MON FRÈRE, ON S’ADORE, ON SE VOIT TROIS FOIS PAR SEMAINE, ET NOTRE FILS S’ADAPTE TRÈS BIEN. » – LAURA, CO-PARENT
Dupont, auteur de La Famille aujourd’hui (2017). Quand on n’est pas heureux dans la vie, on peut toujours se raccrocher à son enfant pour qui on reste un exemple, quoi qu’il advienne. » Enfin, le bébé-totem devient, selon ce psy, le « conjoint de substitution » des « nouveaux célibataires » (des solitaires volontaires et optimistes, à en croire les pondeurs et pondeuses de best-sellers). « Il permet de ne pas se retrouver seul, précise Sébastien Dupont. Et c’est l’enfant qui épaule les parents. » C’est pourquoi nous vous conseillons, dès l’arrivée de votre chiard à la maternité, de l’habiller chez Bonpoint ou Baby Dior (quitte à louer leurs fringues sur MaPetiteEtagere.fr), de l’exhiber comme un trophée sur les réseaux sociaux, et de l’inscrire illico dans l’école Montessori la plus proche. Qui sait, sa présence à vos côtés vous inspirera peut-être l’idée qui vous permettra de vous relancer professionnellement… Merci qui ? Merci, choubi ?