Technikart

L’AMI DE LA FAMILLE

- LÉONARD HADDAD

Après 10 éditions de Technikart SuperCanne­s (notre quotidien gratuit distribué sur la Croisette) c’est la troisième fois, après Tree Of Life et Oncle Boonmee, que notre Palme Tech est aussi celle du jury. Le sacre du film de notre chouchou Kore-Eda est tombé pile le jour de notre centième numéro, et c’était comme si son triomphe était aussi un peu le nôtre. Non ?

UNE AFFAIRE DE FAMILLE KORE- EDA

Toujours le même film, Kore-Eda ? Ici, tout est trompeur : le titre vf, les enfants sauvages, les photos de famille, l’orfèvrerie sensible, la petite mélancolie douce. On rentre dans Une affaire de famille comme dans une paire de pantoufle, c’est vrai, mais surtout parce qu’on soupçonne le cinéaste de faire la même chose à chaque fois qu’il débarque sur ses propres plateaux. Souvent, il y retrouve des gosses somptueux, entourés de Lily Franky et sa moustache et bien sûr de Kirin Kiki, peut-être la meilleure maman/mamie de l’histoire du cinéma (à égalité avec Lillian Gish). Il les réunit à table pour manger des pâtes en faisant des gros bruits d’aspiration ; parfois il pleut, on sort les serviettes pour s’essuyer ; quand il fait chaud, c’est prévu aussi, il y a des ventilos dans les coins. On est bien, confort, on sait vivre, il sait filmer. Kore-Eda pourrait still walker comme ça longtemps, on n’y trouverait pas grand-chose à redire. Comme à la maison. Comme dans les maisons qu’il filme mieux que personne. Mais il y a des cailloux dans les pantoufles. Pas des petits cailloux blancs pour rentrer chez soi, des gros cailloux qui écorchent les doigts de pieds. Ne pas raconter le film. Si vous l’avez vu, vous savez déjà. Si vous ne l’avez pas encore vu, vous n’avez pas envie de savoir. Ça viendra. Ce constat critique réduit l’espace de ce texte, mais ce n’est pas plus mal, au fond, puisque c’est bien d’espace réduit qu’il est ici question, d’une famille de six entassée dans une seule et même pièce qui est aussi une famille de six acteurs disposés dans un seul et même cadre, occupés à faire ce que l’on ne fait aussi bien que dans les films réalisés par Kore-Eda : jouer tous ensemble, être fabuleux simultaném­ent, sans champscont­re champs, sans filet, sans fausse note, comme un petit sextet de musique de chambre, où chacun serait tellement virtuose que personne n’aurait la vulgarité de tenter un solo. Ils s’écoutent, se regardent, se parlent. Ils font tous un truc en même temps, reliés par des fils invisibles, marionnett­es et marionnett­istes les uns des autres, un mobile pour enfants. À certains moments, ils sont merveilleu­x face caméra (Sakura Andô, révélation) ; à d’autres, ils sont géniaux dans le flou de la longue focale, sans rien faire, juste posés là, comme de simples éléments de compositio­n, tandis que le chef-op joue sur le mouvement des nuages hors-champ, le soleil voilé, la pluie qui se met à tomber, parce que la lumière du film est à l’image du reste : trompeuse, changeante, jamais au beau fixe. Ne pas dire de bêtise. Les films de Kore-Eda ne sont pas tous pareils puisqu’ils sont loin d’être tous aussi bien que celui-là. Ça ne leur arrive (presque) jamais. La grâce est comme la foudre, elle ne frappe pas souvent au même endroit. Voilà aussi à quoi aura servi The Third Murder, film 2017 qui n’était ni à Cannes, ni une affaire de famille et où les (pourtant grands) acteurs étaient globalemen­t un peu nuls. Un autre caillou, cette fois dans le jardin de la politique des auteurs : théoriquem­ent toujours le même, Hirokazu Kore-Eda est sans doute le plus inégal des grands cinéastes contempora­ins. Mais quand c’est bien, il est surtout sans égal.

Sortie, rentrée 2018

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