Technikart

VOYAGE EN ITALIE

- GAËL GOLHEN (AU VOLANT) ET LÉONARD HADDAD (À L’ORDI)

Puisque Sorrentino n’est pas venu à Cannes, Technikart Super-Cannes est allé à Sorrentino. Notre équipe, bravant tous les dangers, a passé la frontière italienne pour voir, son maxi biopic berlusconi­en, Loro 1 et Loro 2, dans un multiplexe d’Albenga.

LORO 1 & LORO 2 PAOLO SORRENTINO

Une journée particuliè­re. Pas exactement des vacances, mais un voyage, un vrai. Le 17 mai était le jour de l’Italie à Cannes, avec le super Dogman de Mateo Garrone à Lumière et Troppa Grazia, un Alba Rohrwacher écolo-chiant à la Quinzaine. C’est ainsi que les effets de sens organisés par les organisate­urs ricochent sur la Croisette, comme des rimes lelouchien­nes portées par la brise marine d’une section à l’autre. Mais voilà, on n’allait pas s’en satisfaire. Il y avait un manque. Il fallait le combler. Dans l’histoire récente de Cannes, Paolo Sorrentino est devenu plus qu’un symbole, un enjeu. Soutenu par les sélectionn­eurs de Cannes, il a surtout longtemps été soutenu par les sélectionn­eurs de Cannes seuls contre (presque) tous. Gentiment ignoré par les jurys, systématiq­uement conspué par la presse qui aime Christophe Honoré, Sorrentino cartonne dans les salles italiennes, gagne des Oscars ( La Grande Bellezza), explose tout le monde à la télé ( The Young Pope) et transporte les petits coeurs clippeux des journalist­es de Technikart. Mais son statut énerve, ses présences agacent, et ses absences interrogen­t. Personne ne sait exactement comment son Loro (« Eux ») n’a pas réussi à se faire une place dans une Sélection où il y a Les Filles du Soleil. Ce ne sont pourtant ni les filles ni le soleil qui lui manquent. Armés de passion, de sens du devoir et du permis de conduire de Gaël, Technikart a donc pris la route, traversé les frontières, passé les tunnels et bravé les radars. Après avoir admiré le mont où se perche San Remo (petite pensée vélo), fait une micro-halte touristiqu­e à Cervo (plus beau village de Ligure, selon Google), et rejoint un multiplexe situé dans la riante zone industriel­le d’Albenga, le miracle a enfin lieu : un agneau en gros plan, un adorable bêlement, l’image même de l’innocence… foudroyée en cinq plans par la clim’ assassine d’une villa de luxe située dans les collines de Sardaigne. Le message de Loro est envoyé et reçu en moins d’une minute : l’innocence s’arrête à l’entrée de ce film, elle n’y a pas sa place. Tous les personnage­s l’ont laissée derrière eux il y a bien longtemps, dans le souvenir idéalisé d’un « je t’aime » de jeunesse qui a depuis perdu son sens et auquel, le héros, un certain Silvio B., ne se reconnecte­ra pas pour sa Rédemption mais seulement pour sa Perte. Le film est à l’évidence une somme, une sorte de grand précis Sorrentini­en où se télescopen­t la laideur monstre de L’Ami de la famille, le gatsbysme dé-magnifié de La Grande Bellezza, la cruauté politique d’Il Divo, les codes couleur de Young Pope et son thèmeclef la réclusion, l’enfermemen­t dans les tours qu’on construit soi-même autour de soi, et où l’on est à l’aise pour contempler, stupéfait, tout ce qu’on a laissé à l’extérieur. Dans notre histoire perso du festival de Cannes, l’édition 2018 sera celle de la découverte du diptyque de Sorrentino à Albenga, en relisant les textes que nous envoyaient les copains restés dans le tumulte de Cannes. Pendant qu’ils voyaient Troppa Grazia sur des strapontin­s après avoir fait la queue trois quarts d’heure, on était seuls dans la salle, les pieds sur les fauteuils de devant. Sur l’écran, les fêtes, les filles à poil ou habillées comme sur le tapis rouge, la coke, la musique, le cul, la folie. Dans la salle, deux gars français essayant de se demander comment ils auraient reçu ce même film là-bas. Au fait, si vous vous inquiétez, oui, on parle suffisamme­nt bien l’italien pour commander des pizzas. Et pour voir des films ? Heu, hum, eh bien… comment vous dire…

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