« LE ROUGE DES TÊTES BRULÉES »
QUE DÉBOUCHER EN FEUILLETANT LA BIOGRAPHIE DE MAURIZIO SERRA CONSACRÉE À GABRIELE D’ANNUNZIO ? IL FAUT UN VIN ÉLÉGANT, INDOMPTABLE, SPECTACULAIRE, CE SERA LA BOURGOGNE VIA LA MAISON FAIVELEY. DÉGUSTATION EN COMPAGNIE DU JOURNALISTE JEAN-CHARLES CHAPUZET.
Magnifique, c’est l’impression qui plane à la dégustation de ce pinot noir indomptable, irrésistible, poète. Magnifique, c’est aussi le titre de la biographie de Maurizio Serra qu’il consacre à l’ineffable Gabriele D’Annunzio, tout aussi transgressif, génial, rhapsode des temps modernes. C’est une rencontre au sommet entre ce Mercurey 1er Cru Clos des Myglands de la maison Faiveley et cet imposant ouvrage retraçant la trajectoire inouïe de l’écrivain italien, ce « barde-condottiere », pour reprendre les mots de Serra. Ce dernier nous avait déjà prévenu de son érudition et de sa justesse de tir à l’endroit de sa biographie de Malaparte. Il récidive, non sans admiration mais toujours sans concessions. Cet exercice d’équilibriste nous renvoie au gamin surdoué des Abruzzes, natif du village de Pescara. D’Annunzio est une étoile filante, un « prince de
la jeunesse » comme le fut en France un certain Maurice Barrès. Ils se croiseront lorsque Gabriele viendra séjourner en France, fuyant les dettes et la politique de son pays. Ils se détesteront par la suite mais c’est un détail.
LE PLUS ADULÉ…
En attendant, on (re) découvre un poète aux poches percées, errant dans les années 1910 de l’hôtel Meurice à Arcachon dans une villa prise d’assaut par les groupies, favorite comprise. Dans son capharnaüm d’antiquités, il écrit la nuit, les lévriers à ses pieds, pinçant une cigarette orientale. Il goûte assurément des meilleures étiquettes. Peut-être les vins de la maison Faiveley ? On le lui souhaite. Le jouisseur compose, pense, baise. Les mots tombent avec la conscience de sa flamboyance. L’auteur de L’Enfant de volupté n’a pas de limite à écrire son existence. La France l’aimait pour ça et l’aime toujours, davantage sa vie que son oeuvre si difficile d’accès. Et c’est la guerre, la Grande, le carnage, le gaz, la moutarde. Ce qui lui vaut la délicate attention de « fils de pute » de la part d’un Hemingway écoeuré qu’ « un demi-million de macaronis crevés » puisse exciter le poète latin.
… SANS AVOIR ÉTÉ LU !
D’Annunzio se transforme en tête brûlée, le Commandant faillit précéder Saint-Ex ; il en ressort avec un bandeau noir sur un oeil. Quel sens du marketing ! Faut-il revenir enfin sur l’épisode de Fiume, le plus fameux, « trop improbable pour n’être pas vrai », dirait Truman Capote ? Que le lecteur s’en empare sous la plume de Serra : le coup d’État, l’expérience anarcho-cocaïno-dada-bipolaire, la patrie et - caricaturant volontiers - la Gay Pride. D’Annunzio, c’est Priscilla avant l’heure ! Son désert, c’est les autres. De sa villeétat, il reconnaît le Sinn Féin, l’URSS, moque la SDN et se rapproche du Japon. L’aventure avortée, il finira ses jours au Vittoriale, sur les bords du Lac de Garde et sous perfusion financière de Mussolini à qui il déconseille de s’allier avec « le peintulureur nazi ». La légende vivante s’éteint en 1938 ; D’Annunzio « domine de très haut ses erreurs, ses fourberies et ses omissions par la puissance du Verbe et la foi dans l’Homme », plaide le biographe. La messe est
dite, la bouteille vide.