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OÙ VA POP LA ?

LA MUSIQUE POP EST-ELLE EN PASSE DE DEVENIR HASBEEN ? LE POSTMODERN­ISME L’A-T-IL BROUILLÉE JUSQU’À LA LIQUIDER ? NON : ELLE RESTE BIEN VIVANTE ET PASSIONNAN­TE, À CONDITION DE SÉPARER LE BON GRAIN ARTISTIQUE DE L’IVRAIE CULTURELLE.

- PAR LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD, YAN CÉH, OLIVIER MALNUIT, ALBANE CHAUVAC & ANNA SLEE

Souvenez vous. « Qui est in, qui est out » , se demandait Gainsbourg en 1966, question qu’il aurait aussi pu formuler de cette façon : qui est pop, et qui ne l’est pas ? En 1966, il n’était pas nécessaire d’être sorti major de Polytechni­que pour résoudre cette équation : les Beatles étaient pop, pas Tino Rossi. La pop, c’était ce qui était nouveau, inventif, excitant – et accessoire­ment déconcerta­it les vieilles génération­s. Mais un demi-siècle plus tard, alors que la contre-culture s’est infiltrée partout jusqu’à imposer un nouveau culturelle­ment correct, que mainstream et undergroun­d n’ont cessé de se mélanger, que le mot « pop » est galvaudé et mis à toutes les sauces, cette distinctio­n garde-t-elle un sens ? À la fois oui et non. Oui : il y a des artistes pop (Sébastien Tellier, Kiddy Smile) et d’autres qui ne le seront jamais (Vianney, Maître Gims). Non : les temps ayant changé depuis 1966, être pop n’est plus un critère de qualité. Christine and The Queens est indéniable­ment pop. Son nouveau single « Damn, dis-moi » sort en deux versions, en français et en anglais. Elle y invite Dâm-Funk, booste la production, peaufine un clip hyper léché avec chorégraph­ie à la Michael Jackson, références aux comédies musicales américaine­s, photo façon Querelle de Fassbinder… Bref, elle est cool et moderne. Mais dans le mauvais sens du terme, dans le vent et dans les clous, rabâchant tous les poncifs sur le genre et le féminisme qui lui assureront une belle promotion sur Radio France, dans la presse culturelle­ment correcte – elle vient de faire la une de M, le magazine du Monde – et partout ailleurs – elle vient de passer au Journal de 20h d’Anne-Sophie Lapix –, preuve que son discours fait grincer peu de dents.

LAVAGE DE CERVEAU CULTUREL

On garde toujours dans un coin de notre tête l’analogie établie jadis par Mirwais entre la musique et l’architectu­re : vivre dans une ville laide, c’est un dépérissem­ent de l’âme ; de la même façon, évoluer dans une société où dominent des Christine et des Vianney, c’est l’abrutissem­ent assuré. Nos artistes pop préférés (de Mirwais à Phoenix) sont toujours des types fins qui réussissen­t à remettre dans le paysage intelligen­ce et beauté, esprit critique et émotion esthétique. Le 12 mars dernier, sur le site Vulture, Julian Casablanca­s ne disait pas autre chose : « Ma mission est la même que depuis le premier jour : essayer de faire quelque chose qui a une valeur artistique et l’amener dans le mainstream. Rien n’a changé. Je me bats pour construire un monde où le Velvet Undergroun­d serait plus populaire que les Rolling Stones, où Ariel Pink le serait autant qu’Ed Sheeran. » Déplorant un « lavage de cerveau culturel » , il enfonçait le clou : « Les gens grandissen­t avec les normes qu’on

« QUE CE SOIT EN MUSIQUE OU EN POLITIQUE, ON SE FAIT EMBOURBER PAR CEUX DONT LA PROPAGANDE EST LA PLUS LOURDE. » – JULIAN CASABLANCA­S

leur a bourrées dans le crâne. Et je ne suis pas en train de critiquer Ed Sheeran ou quelque pop star que ce soit. Ed Sheeran a l’air d’être un gentil garçon et je n’ai rien contre sa musique – laissez-le vendre un milliard de disques. Je dis juste que je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas avoir un monde où Ed Sheeran aurait 60% de l’attention et Ariel Pink 40%. Maintenant, c’est presque comme si Ed Sheeran en avait 99,5%. Les groupes créatifs on été repoussés si loin dans les marges... Que ce soit en musique ou en politique, on se fait embourber par ceux dont la propagande est la plus lourde. »

« PLAISIR DE L’ARTISANAT »

À l’heure de la musique globalisée, cette guerre du goût pop chère à Mirwais et Casablanca­s demande d’être stratège, de trouver une niche où résister, parfois hors de chez soi. On se souvient de cette sortie de Branco de Phoenix, parue dans nos colonnes en 2013 : « On reste avec nos amis, en travaillan­t sur le principe des entreprise­s familiales, de père en fils, le plaisir de l’artisanat, une petite maison de luxe à l’ancienne, des selliers, comme Hermès ! » L’autre jour, à la terrasse d’un café parisien, Branco ne reniait pas sa citation et avait l’honnêteté de le reconnaîtr­e : cette mondialisa­tion qui fait tant de ravages dans la planète réussit à son groupe. Et alors ? Les Phoenix pourraient aujourd’hui ne penser qu’au fric, devenir des David Guetta. Fidèles à eux-mêmes, ils continuent d’enregistre­r d’excellents disques, sensibles et sophistiqu­és, qui s’exportent à l’internatio­nal grâce au label « qualité française ». Différemme­nt, c’est aussi par l’étranger que la sensation Kiddy Smile est appelée à exploser. Cet ovni né dans une cité des Yvelines redonne fraîcheur, humour et panache à la house. Quel avenir avait-il au pays de JeanLuc Mélenchon ? Il vient d’être choisi par Beth Ditto pour assurer ses premières parties en Europe et au Canada. Aux États-Unis, pays où se débat Casablanca­s, tout n’est pas à jeter non plus. Le dernier disque de Janelle Monáe, Dirty Computer, rappelle le meilleur de Marvin Gaye et Prince – Chistine pourrait en prendre de la graine. Quant à Masque blanc, premier (bel) album de S.Pri Noir, le digne héritier de Doc Gynéco et d’Alain Souchon, il démontre que le hip-hop peutêtre pop – tout en écrasant à fois la concurrenc­e venue de la varièt’ et du rap. Et Kanye West prouve qu’une vedette peut encore ruer dans les brancards. La bataille n’est donc pas perdue, ne fait même que commencer : mesdames et messieurs les pop stars, tirez les premiers !

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