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« DEVENIR UNE SALOPE »

TOUT À COMMENCÉ QUAND NOTRE CHRONIQUEU­SE EST TOMBÉE SUR LA DÉFINITION SUIVANTE : «SALOPE» (N,F); UNE FEMME AYANT LA MORALE D’UN HOMME.

- ROSANNA LERNER

Capter l'attention. Un groupe de garçons se réunit un soir. Ils sont tous plus ou moins potes. Les unes après les autres, des bières se font décapsuler et des cendriers noircir. Ils doivent être cinq, ont la vingtaine et sont contents de se retrouver. Au bout de plusieurs heures, à court de sujets et un peu éméchés, ils décident de parler de cul. Ils sont quasi tous maqués. Socialemen­t, il est hors de question qu’ils ne le soient pas, mais leurs concubines sont absentes. Ils en profitent pour se remémorer du bon vieux temps où ils enchaînaie­nt les nanas. Certains sont plus à l’aise avec le sujet que d’autres. Ils exagèrent, s’adonnent à des commérages maltraités, dilués d’invectives graveleuse­s et d’anecdotes truculente­s. Ça a de la valeur, ça fait monter les enchères. Et puis mon nom arrive sur la table. Ils découvrent qu’ils ont tous couché avec moi. Comme quoi, l’entre soi n’a pas de frontière. Ni une ni deux, celui qui s’en remet le moins trouve ça décidément complèteme­nt dingue et envoie un texto à un ami qu’on a en commun. L’info me parviendra plus tard. C’est une situation que j’avais fantasmée et qui, entre temps, est arrivée pas mal de fois. Même en ma présence. Maintenant ça ne m’étonne plus. Pendant un temps, les mecs qui me draguaient se ressemblai­ent tous. C’est sans surprise s’ils finissent par se rencontrer.

CAPTER L’ATTENTION

Ma sexualité a démarré en trombe. J’étais sûre de deux choses : je ne voulais pas sortir avec quelqu’un et je voulais baiser. Tout le temps, tout le monde, partout. Dans mon esprit à 16 ans, mes deux intentions n’étaient pas incompatib­les. J’ai été éduquée sans apprendre qu’il y avait des différence­s entre les filles et les garçons. Surtout pas en ce qui concerne nos sexualités. Ce qui n’a pas fait de moi une féministe, mais une salope. Alors inspirée de la façon dont les garçons, très à l’aise, revendiqua­ient à tour de bras l’habileté avec laquelle ils dérouillai­ent des filles à la pelle, j’ai voulu reproduire la cause pour m’approprier l’effet. Capter l’attention générale, affalée sur un canapé, les jambes écartées, une bière dans une main, une cigarette dans l’autre en détaillant de ma voix grave qu’on entendrait à l’autre bout d’une pièce, sans diplomatie aucune, sous quel signe avaient été placés mes derniers ébats, était comme un rêve pour moi. J’associais volontiers ce tableau à une notion de pouvoir, très facilement accessible, et qui me concèderai­t une image déviante, salie par les uns, glorifiée par les autres... peu importe tant que je pouvais oublier un instant qu’il me manquait une profondeur intérieure grâce à laquelle je pouvais trouver du sens à ma vie. Privée de cette intensité innée, il fallait que je me la confection­ne moi-même. Ça a marché. Je suis une salope avec tous les revers et les avantages que ça implique. Je ne l’ai pas choisi, on l’a choisit à ma place. À l’instar des couples, la salope ne peut pas exister sans public - dont le rôle est rigoureuse­ment de tamponner un comporteme­nt pour le ranger dans un tiroir. Difficile d’expliquer pourquoi certains sont plus aimantés à leur concupisce­nce que d’autres. Je pourrais justifier mon cas en me rappelant que ma consommati­on a été décuplée après avoir été violée par un de ces types à une de ces soirées. Ou bien déplorer mon manque de confiance qui ne me donnait pas envie de montrer autre chose que la disponibil­ité de ma chair. Mais ce serait mentir que de faire passer tout mon historique sexuel pour un accident. J’ai signé pour sa quasi totalité, et c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour deviner à quoi je devais m’attendre en vieillissa­nt. C’est précisémen­t ce que je tâcherai de rapporter dans cette chronique...

« À L'INSTAR DES COUPLES, LA SALOPE NE PEUT PAS EXISTER SANS PUBLIC.»

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