CHIC BANLIEUE ?
Un soir, en pleine préparation de notre dossier couve, je me trompe de TER à la gare du Nord. Une fois à bord du direct pour Persan-Beaumont (37 minutes), je décide de prendre mon mal en patience et de potasser la presse que je viens de choper au Relay. Assis en face de moi, trois grands ados en sweats noirs se vannent entre eux. Je sors les mags, les pose entre nous : Vogue, Esquire UK, Another Man, Mr. Porter... (J’ai pas l’air con.) Un des trois lascars me sourit, je le lui rends le plus naturellement au monde. (Merde, il est posé où, mon portable ?) Je m’affaire à trouver un article parmi les tunnels de pubs. (Mais pourquoi
il me fixe comme ça ?) Il s’avance vers moi, indique le Vogue ouvert sur la table. « Je
peux ? » Je fais oui de la tête sans savoir ce à quoi je viens d’acquiescer. « Merci
monsieur. » Il montre la page ouverte sur un visuel Gucci à son voisin : « J’t’avais dit, ils ont déjà changé leur campagne. » Son pote,
un peu perdu : « Ah ? ». Lui : « Y a plus les
dessins stylés... » Alors que le train traverse le 93, les deux insoupçonnés fashionistas discutent des mérites relatifs des dernières campagnes de la marque du groupe Kering... Bienvenue en Banlieue chic.
Ces derniers temps, ils sont nombreux à vouloir démêler les relations alambiquées entre les marques de luxe et la jeunesse de banlieue. Les commentateurs mode les plus politisés évoqueront « appropriation culturelle » ou « pillage ». Les plus neuneus, un grand melting-pot mêlant les consommatrices de l’avenue Montaigne aux cailleras en survet’ Philipp Plein. Quant aux plus cyniques, ils citent les hausses – vertigineuses – du chiffre d’affaires de toute grande maison misant sur le streetwear. Pour notre part, les journalistes les plus téméraires de la rédactiuon sont partis enquêter du côté des show-rooms et des pop-ups du Marais (avec quelques incursions dans le 93 le plus fashion) pour en revenir avec l’intime conviction que la réalité est un chouïa moins manichéenne. Car si les géants du luxe s’inspirent comme jamais des marques, des méthodes de distribution (le « drop », devenu incontournable) et des acteurs venus des cultures urbaines (LVMH allant jusqu’à embaucher Virgil Abloh d’Off-white pour qu’il file un shoot de cool à Louis Vuitton, sa griffe la plus rentable), ceux-ci ne sont pas en reste. Pour preuve, les marques les plus buzzées du moment : M+RC Noir, Applecore, Maison Château Rouge...
Ou comme nous le raconte un pro de la
sape croisé en cours d’enquête : « La mode a beau piller la banlieue, celle-ci s’en fout : le chic sera toujours de son côté
Bonne lecture, on se retrouve dans un mois,