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COUP POUR COUPLE

- BAPTISTE LIGER Crédit photo : Hélène Tchen Cardenas

Après L’été des charognes paru en 2017, Simon Johannin s’est mué en monstre à deux têtes. Avec sa douce Capucine, duo à la ville comme à l’écriture, les deux tourtereau­x livrent un roman à quatre mains, Nino dans la nuit, où la virtuosité cotoît une langue et une oralité contempora­ines et plus vivantes que jamais. SIMON ET CAPUCINE JOHANNIN

NINO DANS LA NUIT (Allia, 288 p., 14 €)

Ils s’aiment. En tous les cas, ils sont en couple. Et partagent beaucoup de choses – y compris leur nom sur un roman. Et quel roman, probableme­nt ce qu’on a lu de plus beau en ce début d’année. Au fond, ça n’a rien d’une surprise pour quiconque avait lu le premier texte de Simon Johannin, le splendide L’Eté des charognes, rugueuse fiction campagnard­e qui lui valut à juste titre le Prix de la Vocation 2017. On attendait la confirmati­on, pour ce fils d’apiculteur de l’Hérault ayant opté pour des études de cinéma, tout juste âgé de 25 ans. Il revient, donc, mais accompagné. Et pas de n’importe qui : sa chère et tendre, la photograph­e Capucine Spineux qui, sur la couverture du livre, porte le nom de famille de Simon. On ne saura d’ailleurs jamais, dans le fruit de leur collaborat­ion littéraire, Nino dans la nuit, ce qui relève du travail de l’un ou de l’autre. Après tout, qu’importe – cela participe même de la fascinatio­n opérée par ce texte, que l’on ne saurait heureuseme­nt résumer à un simple quatre mains très virtuose.

Il aurait pu sentir bon le sable chaud, Nino. Alors qu’il a tout juste 20 ans, ce garçon un peu perdu a un but, ou tout du moins un rêve : celui d’intégrer la Légion – attention, pas l’armée dite « normale ». Serait-ce l’effet du « short beige » ? Ou la sécurité de l’emploi ? Bon, le plan va foirer. « C’est le destin de ce monde que de rattraper ceux qui fuient trop vite les choses [et ceux qui font leur] baltringue » ! Nino doit revoir ses ambitions, ses projets, et erre alors dans les abords de Paris – lorsqu’il n’est pas dans sa piaule, avec un trou dans le plancher. Il y a bien Lale, qui lui a fait chavirer le coeur. Mais vivre son amour n’est pas forcément évident, sans thune. Nino enquille les jobs, plus ou moins (plutôt moins, en fait) gratifiant­s, encore moins réguliers ou juridiquem­ent corrects. La weed, ça se paie, tout autant que la binouze. Malik pourra-t-il les aider à un éventuel meilleur avenir ? Quels traits celui-ci pourrait-il prendre, d’abord ? Faudrait-il, pourquoi pas, passer de l’autre côté d’une quelconque frontière ?

Bien sûr, on pourrait saluer l’évidence justesse de la chronique sociale, qui met en lumière ces jeunes gens en quête de repères et qui cherchent une échappatoi­re, pourquoi pas dans la nuit où toutes les âmes s’engrisent. Il faudrait aussi applaudir le portrait génération­nel, qui s’affranchit des clichés trop aisés sans pour autant nier les codes les plus visibles. Mais si Nino dans la nuit impression­ne à ce point, c’est parce que Simon et Capucine Johannin ont su composer une langue qui sied parfaiteme­nt à l’objet. Contrairem­ent à tant de jeunes auteurs n’ayant pas trouvé la formule magique, ce couple mêle formidable­ment ici un langage contempora­in, une oralité d’aujourd’hui, et un style assurément littéraire. Tous sonne juste, notamment dans les scènes les plus longues, qui pourraient sembler inutiles – et pourtant, tout est là. Nino dans la nuit a le seum, et nous fiche un 3-0 (ou un 8-6) bien mérité…

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