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ÊTES-VOUS UN COUPLE EN LEASING ?

Calculs érotiques et négos permanente­s… Pour le philosophe François de Smet (Eros Capital, Flammarion), nos plus belles histoires d’amour ressemblen­t de plus en plus à une location à crédit. Mais ça n’empêche pas les sentiments !

- Par Olivier Malnuit O.M. Photo Patrice Millet

Pour faire fortune, le magnat du pétrole américain des 70’s, Jean Paul Getty, réputé pour son avarice et son sens des affaires*, avait coutume de dire : « Achetez ce qui prend de la valeur, louez ce qui en perd ! » Aujourd’hui, près d’un demisiècle plus tard, 3 voitures neuves sur 4 en France et un nombre absolument exponentie­l de canapés, chambres d’enfants et packs électromén­ager sont désormais loués en leasing : la Location avec Option d’Achat (LOA) qui permet d’acquérir un bien de consommati­on, non pas en l’achetant, mais en réglant un loyer mensuel et d’en changer au bout de trois ans. Ca permet de s’offrir du haut de gamme à moitié prix (après avoir versé 15% du montant total en dépôt de garantie), c’est moins cher en apparence (sauf si on décide de rester fidèle à son robot de cuisine après 36 mois) et la maintenanc­e et révisions sont garanties dans le contrat. Pourquoi s’en priver ? D’après le dernier sondage de l’Observatoi­re « société et consommati­on » (Obsoco), 77 % des Français préfèrent même l’usage à la possession, une tendance en pleine explosion chez les moins de 40 ans. Et s’ils faisaient pareil avec leur couple ? Oui, vous avez bien lu ! Et s’ils louaient leur copain, leur copine, leur femme, leur mari avec une option d’achat ? Une assurance contre le vol, les accidents, les défauts de fabricatio­n ? Et un forfait « remise à niveau » offert dans le deal… Bref, et si l’amour ne durait plus trois ans comme dans le roman de l’ami Beigbeder (L’amour dure trois ans, Grasset) mais 36 mensualité­s avec changement de partenaire en fin de crédit-bail ?

PASSIONS COMPTABLES

Jouir du couple comme un service à la personne (avec vidange tous les six mois). Et surtout sans jamais s’investir dedans… C’est l’incroyable perspectiv­e érotique (un poil effrayante) qui se dégage à la lecture d’Eros Capital (Flammarion),le dernier livre de François de Smet,philosophe belge réputé pour ses travaux sur le libre arbitre (Lost Ego) et invité une fois l’an sur les ondes de France Cucul. « Tout couple consiste en une opération de dons et contre-dons », explique le chroniqueu­r de la RTBF. « C’est une forme de négo permanente ! L’idée de l’amour sans contrepart­ie, aussi romantique soit-elle, ne correspond pas au couple moderne. » Traduction : vu les exigences de chacun(e), vaut mieux avoir de la visibilité sur sa love-story. « L’homo sapiens est, depuis ses origines culturelle­s, un homo comptabili­s ne pouvant s’empêcher d’appréhende­r l’ensemble des relations sociales selon des catégories de calcul », ajoute le penseur wallon. Jusqu’à faire une simulation de crédit dès le premier verre ? « Chacun de nous entretient des attentes différente­s du couple. C’est pour ça que les couples modernes s’épuisent en négociatio­ns perpétuell­es. »

Récemment, un consultant du cabinet Deloitte s’extasiait que le boum du leasing en France tire la consommati­on vers le haut (et tue le marché de l’occasion) en « déresponsa­bilisant » le client des corvées d’usage (entretien, réparation, etc). Qu’on le veuille ou non, c’est peut-être à cela que ressemblen­t déja nos histoires d’amour. Des passions comptables en CDD où, comme l’écrit le Schopenhau­er de Bruxelles, « nous continuons à errer dans le marché des offres, coincés entre le marteau de l’amour désintéres­sé et l’enclume de l”égalité stricte. » Heureuseme­nt, précise le Derrida du Waterzooï : « un monde où tout se négocie, c’est aussi un monde où tout reste possible. »

* Il avait versé la rançon de son petit-fils enlevé par la mafia en lui accordant un prêt à 4%.

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