BILAL HASSANI PEUT-IL FAIRE DANSER LES HATERS ?
Superstar en devenir, égérie LGBT des millennials (mais aussi cible des haters) et grand défenseur de la moumoute flashy, Bilal Hassani, 19 ans, raconte sa vie, l’Eurovision, la banlieue, les réseaux sociaux… En chantant !
Ce mercredi 11 février, Bilal Hassani déambule dans nos locaux avec un self-control désarmant. Pendant le shooting au Studio Technikart (Paris 8ème), le jeune homme de 19 ans s’amuse avec la photographe, esquisse des mouvements érotiques de son épaule comme pour rappeler les grandes icônes de la mode. Décomplexé, déterminé, celui qui voulait être « Roi » (c’est le titre de son premier single) a déjà tout d’un petit prince de la pop. Bien loin de l’image cheap qu’on voudrait bien lui coller. Bilal Hassani n’a pas vraiment sa place chez JeremStar ou Hanouna… Pas plus chez les pros de la Manif pour tous. C’est qu’il n’est pas le gendre idéal : un banlieusard homosexuel d’origine marocaine qui porte une perruque blonde pour représenter la France dans un concours tévé européen, c’est un stick de dynamite qui sera balancé le 18 mai à 200 millions de téléspectateurs...
Avant Destination Eurovision, tu avais déjà un certain succès sur Youtube où tu as pris l’habitude de te confier. Pourquoi ?
Bilal Hassani : En fait, la première fois que j’ai été exposé, c’était sur The Voice Kids. J’habitais dans le 95 et je me voyais passer à la télévision devant des millions de personnes. J’ai pris goût au fait que les gens s’intéressent à moi ! Mais après l’émission, on ne disait plus « oh, il chante bien », mais plutôt « oh, comment il va ? ». Alors je me suis dit que j’allais partager mon quotidien avec eux. J’avais mon vieux Wiko, j’étais nul
en réseaux sociaux mais des amis m’ont montré comment faire. Je ne me prenais pas du tout au sérieux et j’ai constaté que ça plaisait.
Le succès a été immédiat ?
Dès le lancement de ma chaîne, je gagnais 10.000 abonnés par semaine. En janvier 2016, j’ai décidé d’organiser un concert aux Étoiles à Paris pour tester ma crédibilité. C’était complet. En mai 2018, quand j’ai commencé à être plus « authentique » en portant des perruques, ça a été un boom total que je n’ai pas spécialement compris.
Je ne réalise toujours pas.
Tu avais en tête l’idée que ton succès sur Youtube serait une porte d’entrée à ta musique ?
Non, c’était vraiment pour m’amuser. Mais n’ayant pas de maison de disques, pas d’équipe, pas de manager ni rien, je pouvais aussi faire ma promo tout seul sur Youtube en plus de mes vidéos. Donc j’ai fait du 50/50. Entre le lancement de ma chaîne et aujourd’hui j’ai dû écrire … 200 chansons ! Quatre seulement sont sorties mais je n’arrêtais pas.
En France, l’Eurovision est souvent mal vu. Tu penses que ta participation te porteras préjudice ?
Jusqu’à 2017, je réfléchissais beaucoup sur comment lancer ma carrière et il ne se passait pas grand chose. C’est au moment où j’ai décidé de laisser les choses se faire et de ne plus prêter attention aux jugements des autres que tout a commencé à marcher. À aucun moment je ne me suis dis que Destination Eurovision allait être un « kick-starter » dans ma carrière, et je ne me suis pas dit non plus que ça pouvait être un handicap. Mais tous les ans je regarde le show à la télévision. Alors dès que j’ai eu l’opportunité de le faire, j’ai foncé !
L’Eurovision donne toujours naissance à des controverses : sur le système de votation, sur les candidats eux-mêmes, sur les tensions géopolitiques… Cette année tu n’y a pas échappé.
Pour certains je ne rentre pas dans les codes. Je coche les cases de tout ce qui dérange politiquement parlant, comme ma sexualité, le fait que je porte des perruques, le fait que je sois d’origine marocaine… Mais en même temps quand le show commence, tout cela disparaît. C’est ce sur quoi je veux me concentrer : livrer une bonne performance.
L’an dernier, Têtu t’a classé parmi les 30 personnalités LGBT qui font bouger la France. Pourquoi, selon toi ?
Ici, on n’est pas habitué à quelqu’un comme moi. Ce que je trouve cool, c’est que maintenant certains jeunes peuvent s’identifier à moi alors qu’ils n’avaient personne avant. Ça permet à des gens de se sentir mieux dans leur peau, de s’assumer. Quand on me voit arriver un samedi soir sur France 2, je me dis qu’il y a peut-être un adolescent ou un adulte quelque part qui se sent un peu différent et qui n’a jamais osé en parler. Peutêtre que grâce à mon exposition, ça va lui ouvrir une conversation avec son entourage pour qu’il se sente plus normal.
Tu te sens politisé ?
Je ne suis pas attiré par la politique, ce n’est pas mon but. Mon intérêt, c’est de divertir les gens. Je fais des vidéos sur Youtube où je raconte des bêtises, je danse, je porte des perruques, et voilà ! On fait de moi quelque chose de politique et on ouvre des débats. Si ça peut être bénéfique, alors très bien, mais je n’ai pas envie de m’immiscer dedans. Je suis là pour faire l’Eurovision, pas pour me présenter à l’Assemblée les gars !
Comment un jeune homme de 19 ans fait pour supporter tous les messages de haters ?
Honnêtement, je le subis. Les gens oublient souvent que je suis si jeune. C’est la partie un peu sombre, apocalyptique même, des réseaux sociaux – mais de l’autre côté, il y a un bel
« JE SUIS LÀ POUR FAIRE L’EUROVISION, PAS POUR ME PRÉSENTER À L’ASSEMBLÉE ! »
arc-en-ciel avec des gens qui me font ressentir énormément d’amour et qui se rendent compte que derrière mon travail il y a quelque chose d’extrêmement positif. J’essaie de mettre de côté l’aspect négatif, pour rester sur le côté solaire.
Et c’est quoi la suite ?
L’album ! Il sortira mi-avril, avant l’Eurovision, parce que je suis impatient ! Ça va être un album très solaire. Ma devise pour ce disque ? « Il faut que même mes haters dansent ! » ! Que même ceux qui me détestent ne puissent s’empêcher de remuer leur popotin ! C’est l’objectif.
Que tu gagnes ou non, quel sera l’après-Tel Aviv ?
J’aimerais faire le plus de concerts possible. Il y a des shows qui m’ont tellement marqué comme ceux de Lady Gaga ou Beyonce, alors bien-sûr ce sera à mon niveau mais je ne vais pas m’accorder de pause après l’Eurovision. Je vais directement enchaîner sur les répétitions et l’élaboration du spectacle. J’ai envie de faire plein de choses, tu sais, du cinéma, de la comédie musicale, aller à Broadway, écrire...
Pendant qu’il se coiffe, Bilal Hassani repère sur la table de réunion de Technikart une étrange paire de lunettes mélangeant les formes de montures carrés et rondes. Il les regarde et s’exclame : « Ça, c’est Vivienne Westwood, évidemment ! »
Pourquoi « évidemment » ?
Parce qu’il n’y a qu’elle pour faire ça. C’est très classique et à la fois très punk, elle mélange les deux montures, c’est son essence, c’est elle qui a ramené le punk dans la haute-couture.
On sent énormément de références et d’influences dans ton look : le streetwear, le glamour américain, Lady Gaga, les cultures LGBT et drag-queen…
Ce qui est drôle, c’est que je n’ai jamais suivi les modes vestimentairement. À la base, on n’avait pas les moyens à la maison. Quand on était au collège et que les autres avaient des Vans, ma maman ne pouvait pas suivre. Alors j’ai décidé de partir en cacahuète avec mon look pour affirmer ma personnalité. Je kraftais des styles avec des tenues vraiment cheap. Et je suis très vite tomber amoureux des friperies, dès la sixième.
Tu dois bien connaître la banlieue parisienne après avoir vécu à Saint Denis, Issy les Moulineaux, Cergy Pontoise… Comment ton rapport à la mode a-t-elle évolué dans ces quartiers ?
Vu que nous avons souvent déménagé, je n’ai pas eu le temps de pouvoir « prendre l’empreinte » d’un de ces endroits en particulier. Mon look a plutôt été influencé par ce que j’ai vu en ligne, en regardant les shows, les clips, la télévision aussi, mais aussi en voyageant. Mon papa c’était un expatrié donc il a vécu au Vietnam, j’allais souvent à Hanoï, ensuite il a déménagé à Singapour.
Il y a beaucoup de mystère autour de ton père justement.
Pour commencer, mon père n’est pas une personne qui aime s’exposer. Notre relation ne regarde que lui et moi. Mais je peux dire qu’il n’a pas inspiré mon look : on s’est toujours bien moqué de lui parce que c’est vraiment le papa quoi, avec la banane et tout !
Que penses-tu des codes vestimentaires de la rue repris par la haute couture ?
Les grands créateurs se présentent comme des déclencheurs de mode, mais en réalité elle est toujours inspirée de la vraie vie. Aujourd’hui, la chose la plus dominante, et notamment grâce aux réseaux sociaux, c’est la rue, la banlieue, le streetwear, la jeunesse. Après, ça dépend de comment c’est fait. Quand tu vois une maison qui prend grossièrement ce qui se passe dans la rue pour en faire la même chose sur catwalk, je trouve ça assez fou.
Avant, la banlieue était vue comme une sorte de zone interdite, aujourd’hui elle nourrit l’imaginaire des plus grandes marques de luxe. Pourquoi selon toi ?
C’est probablement grâce aux réseaux sociaux : on s’est rendus compte avec Internet que la banlieue n’est pas celle qui est montrée à la télévision, ce n’est pas la zone. On a découvert des gens, des images, des lieux. Mais il ne faut pas oublier que le streetwear s’est fait tout seul, il n’a pas eu besoin de la haute couture pour exister.
Il se passe quoi si tu laisses pousser tes cheveux ?
Ça me fais une touffe, qui est super mignonne hein ! Quand j’étais petit j’avais cette touffe justement, et ma maman m’avait amené chez le coiffeur pour faire un brushing. J’ai passé une journée magnifique ! J’avais les
cheveux tout lisse, on aurait dit une présentatrice météo ! J’avais vécu un petit rêve, j’avais 7 ans.
À partir de quel âge tu as commencé à avoir un vrai attrait pour la mode ?
C’était à mes 9 ans. C’est précis parce que c’est quand j’ai découvert Lady Gaga. Je pense que pour beaucoup de jeunes de mon âge, quand on a vu Lady Gaga arriver, il y a eu un choc culturel, c’était fou. C’est là que j’ai commencé à prêter attention à la mode...
En étant médiatisé comme ça aujourd’hui, tu t’attendais à toutes ces réactions ?
Bien-sûr. C’est pour ça que ça m’a pris du temps de le faire. Dans mon début d’année 2018 j’étais dans un blues pas possible. J’allais voir les maisons de disques, les managers mais on m’avait ouvert des portes pour les refermer juste derrière en me disant que j’étais arabe et gay alors ça ne marcherai pas. Il y avait beaucoup de frustration en moi. On me disait : « Joli voix, les compositions sont géniales mais sur la scène on ne peut pas vendre ça ».
Et aujourd’hui ?
Certains me disent que je suis un énorme produit marketing et que ce n’est pas mon talent qui a fait que j’en suis là, je trouve ça assez drôle parce que personne n’a essayé de me vendre avant moi-même.
C’est à ce moment là que je me suis dit que personne ne pourrait me faire à part moi, et c’est là que les perruques sont venues. C’était libérateur et thérapeutique.
Est-ce que en portant les perruques, inconsciemment, tu penses revendiquer quelque chose ?
Les gens oublient la douleur que je reçois et que je ressens quand je me fais critiquer pour les perruques. J’ai une obsession pour les cheveux depuis tout petit, c’est tout ! Alors oui je savais que ça allait arriver, je m’en doutais. C’est arrivé et au fond je suis un peu content, c’est un honneur qu’on te dise que tu es une icône LGBT, c’est génial, mais c’est difficile à encaisser parce que je n’ai pas forcément les épaules pour. Parfois ça me contrarie que les gens ne s’arrêtent qu’au fait que je m’appelle Bilal et que je porte une perruque.
Même si ce n’est pas volontaire, c’est un acte politique. Comme quand Kiddy Smile va à l’Elysée avec un teeshirt « fils d’immigré, noir et pédé »…
Il est tellement brave Kiddy Smile. Je l’adore, il est visionnaire, et j’adore son côté « Fuck You ». Mais moi je n’ai pas ce côté là, je n’ai pas cette force de frappe et cette intelligence. Je ne peux pas dégager un message politique, je me suis dis très vite que les gens allaient le faire pour moi, mais ce n’est pas mon intention, je ferais toujours tout ce que je peux pour m’en écarter.
Dernière question, tu vas faire ton célèbre « Bonsoir Paris » depuis Tel Aviv devant 200 millions de téléspectateurs ?
Je ne sais pas si j’oserai ! Je vais dire que oui comme ça je serai forcé de la faire. Mais peut-être que je ferais « Bonsoir Tel Aviv ». Je serai pressé par le temps, en état de choc, Madonna dans les coulisses ! Je vais certainement oublier mais j’espère que non.
« AU COLLÈGE, J’AI DÉCIDÉ DE PARTIR EN CACAHUÈTE AVEC MON LOOK. »