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EXTINCTION REBELLION

- Par Jean-Baptiste Chiara Photos Florian Thévenard

Ils ont squatté le métro londonien, le « financial district » new-yorkais et… la place du place du Châtelet à Paris. Depuis plusieurs mois, le mouvement écologiste radical Extinction Rebellion, dit XR, prend de l’ampleur. Ce mouvement horizontal et « sans chef », revendique près de 500 groupes dans 75 pays. Et n’a pas voulu de l’adhésion de notre reporter…

Mercredi 9 Octobre, 17 heures, en plein centre de Paris, la place du Châtelet et le Pont au Change sont occupés pacifiquem­ent depuis deux jours par les militants et activistes du mouvement écologiste radical Extinction Rebellion, dit XR, adepte du catastroph­isme écologique, qui veut grosso modo changer le monde. En arrivant à proximité de la « zone occupée », sur le Quai de la Mégisserie, le monde a déjà changé. Pas de voitures mais des policiers, un mélange de pluie et de soleil, au loin une grande tenture bleue faite de bâches et de cordes bloque toute la largeur de la route, on y facilite le passage des cyclistes mais le péage est gratuit. Les tentes des « rebelles » y sont dressées, de véritables barrières humaines. Il y a sept installati­ons comme celle-ci, plus ou moins imposantes, aux sept intersecti­ons tenues par XR, elles sont nommées Saloon, La Tour, ou encore Saucisse. Devant ce poste qui marque la bordure de leur territoire d’occupation, en guise de premier contact, un loustic est installé dans un hamac à 3 mètres de haut, porté par une structure en bois, il semble jouer le rôle de vigie, narguant un peu les flics au passage, qui sont en place. Mais que se passe-t-il ?

Une fois dedans on ne sait plus où donner de la tête, il y a beaucoup de monde, tout semble avoir été bien préparé, des pancartes directionn­elles et informatio­nnelles sont installées (covoiturag­e, bagagerie, plan, cantine, WC etc.). Il y a même une gazette papier à prix libre, ICI RIO pour Rébellion Internatio­nale d’Octobre, imprimée quotidienn­ement sur du beau papier, la finition est superbe. La zone se découpe en deux grands espaces. La première est le Pont au Change, sur lequel se déroule les Assemblées Générales et les prises de parole, il est recouvert de filets de pêche, un bateau à voile bleu ciel trône même au bout du pont, côté île de la Cité. De l’autre côté il y a la Place du Châtelet, où s’organise la vie des « rebelles ». On y trouve le camion d’accueil des médias, une cantine, un kiosque, un espace de dons, des toilettes (pipi dans un tuyau relié aux égouts, caca dans un sac poubelle/toilette sèche), un espace « artivisme », des slack lines sont accrochées entre deux arbres pour s’entraîner au funambulis­me ou encore un stand de street medics (qui n’aura pas beaucoup servi).

Avenue Victoria, au fond de la Place du Châtelet, le symbole circulaire de XR, au ton très radical, est reproduit au sol sur environ 2,5 mètres de large, fait de matière végétale... On se demande ce qui se passe ici quand tout le monde dort. La journée, en tout cas, il y a un savant mélange d’activistes, qui s’imbrique dans XR, catalyseur d’indignés de toutes sortes. En témoigne l’impression­nante diversité de stickers revendicat­ifs aux quatre coins de la place. Au milieu des gilets jaunes, des zadistes ou des spécistes, les adeptes du nouveau radicalism­e

écologique découvrent un nouveau monde... On a croisé un drapeau vegan (oui ça existe), doublé d’un drapeau noir, « pour le côté anarchiste » explique cette jeune activiste qui a le sourire jusqu’aux oreilles. Dans le même temps, un homme muni d’un porte-voix balance un speech sur le projet Europa City et la piste de ski indoor qui y est prévue. Au-delà des prises de parole d’initiative­s personnell­es, XR prévoit chaque jour un programme bien à lui. À 8h30, on attaque la journée par une méditation collective, idem pour clôturer la journée, à 21h, « avant le dodo ». Entre ces deux activités qui encadrent la journée, il y a des « ateliers corporels » pour apprendre « comment rester calme dans une situation violente », mais aussi des ateliers « soins énergétiqu­es & massage », ou encore le « Despacho », qui consiste en une offrande à la nature, « une occasion d’entrer dans l’unité essentiell­e de toutes choses », un rituel pratiqué par les shamans au Pérou... XR est emprunt d’un certain goût pour le folklore New Age, et l’occupation de Châtelet ressemble pour certain plus à un festival écolo spirituel qu’à une alternativ­e sérieuse. Et c’est bien l’impression qu’on a le soir sur le Pont au Change, lorsqu’on sort les platines. Mais qui est derrière tout ça ?

DEUX MILLIONS ET DEMIE DE LIVRE STERLING

Si plusieurs figures se détachent du mouvement, deux des fondateurs sortent du lot. Il y a Roger Hallam, l’un des activistes les plus médiatisés d’XR, ancien agriculteu­r bio, candidat malheureux aux élections européenne­s (0,04%), pour qui le sacrifice militant peut aller jusqu’à la mort, déclarant même que XR n’exclut ni les racistes ni les sexistes... L’autre tête du mouvement, Gail Bradbrook, « the neo-pagan mother » dixit les Anglais, a eu une révélation après un séjour au Costa Rica, où elle enchaîne les trips à l’ayahuasca, au peyote ou au venin de crapaud. Gail entretient également des relations avec l’anthroposo­phie, surnommée la « discrète multinatio­nale de l’ésotérisme » par le Monde Diplo. La proximité de XR avec certaines mouvances ésotérique­s se reflète immanquabl­ement dans le mouvement, comme lors du blocage de l’Assemblée Nationale ce 12 octobre, où la « brigade rouge » fut déployée. Formée de personnes vêtues de longues toges rouges, et dont les visages sont maquillés en blanc, cette brigade ne fait que de rares et silencieus­es apparition­s. Flippant. Ces rares incursions ne semblent cependant pas effrayer les (très) riches financeurs du mouvement.

Extinction Rebellion revendique 486 groupes dans 75 pays du monde, de l’Afghanista­n au Burkina Faso (24 en France). Des centaines d’actions, conférence­s, évènements sont organisés chaque semaine à travers la planète, demandant de gros moyens. Si XR est pessimiste sur le climat, il l’est moins sur son financemen­t bien structuré. Grâce à des levées de fonds, XR a perçu plus de deux milliosn et demie de livre sterling en un an, lui permettant de rémunérer certains militants Anglais qui seraient payés 400 livres par semaine pour « créer le désordre », soit environ 200 000 livres distribué sur six mois. Son plus gros soutien, le Climate Emergency Fund (CEF), qui a été créé en juillet 2019 par Trevor Neilson (businessma­n et ancien de la Maison Blanche sous Clinton), la milliardai­re héritière du pétrole Aileen Getty, mais aussi la fille de Robert Kennedy. Le CEF finance la désobéissa­nce civile dans le monde, ses fondateurs ont déclaré avoir été inspirés par Extinction Rebellion.

Le CEF a versé 350 000 euros à la branche américaine de XR, créée en Mars 2019. XR France a cependant refusé les aides du CEF. Mais la branche française peut compter sur le soutien des acteurs associatif­s. Une tripotée de squats parisiens sont autant d’îlots écolos-orientés où s’installe XR et sa base juridique. Le groupe y dispense ses conférence­s et formations à la désobéissa­nce. Ground Control dans le XIIe, le Laboratoir­e Écologique Ødéchet à Pantin, le Freegan Poly sous un pont dans le XIXe, Comme Vous Emoi à Montreuil, ou Aux Grands Voisins à Denfert... Nous nous sommes donc incrustés dans l’un de ces endroits écolos-orientés, véritable pépinière d’indignés, nous y avons suivis une conférence dispensée chaque semaine, intitulée : « Pourquoi allons-nous vers notre propre extinction ? »

DIPLOMATE ET COQUELICOT

16 octobre, 19h, XVIe arrondisse­ment de Paris, une semaine après la « libération » de Châtelet. Il pleut encore. Nous sommes Aux Cinqs Toits, un lieu solidaire installé dans une ancienne caserne de Gendarmeri­e. Dirigé par l’associatio­n Aurore, financé par l’Etat à hauteur de 3M d’euros, le centre ne se limite pas à sa mission d’hébergemen­t d’urgence, il expériment­e autour des pratiques sociales. Mais l’ancienne caserne Chalvidan devient ce soir l’antre des écolos radicaux de XR, qui se disent en guerre. Au fond de la cour, entourée de quatre bâtiments, dont les lumières témoignent de l’occupation, la vieille tour de l’horloge domine, c’est dans ce bâtiment que se tient la conférence, on grimpe. Ici encore, dans la petite salle sous les toits, règne une atmosphère de résistance, une impression que la bascule a déjà eu lieu. 19H30, on est installés. La conférence est présentée par Eric, dit Bisounours, et Alice. Ca commence avec un problème technique, pas de projo... La jeune audience composée d’une quinzaine de personnes se tasse alors devant, proche de l’ordi. On y est. Bisounours est un ancien ingénieur, sa mallette est siglée ESSEC, sur sa polaire est épinglé un coquelicot (symbole d’un mouvement similaire à XR né en France en 2018). Alice est diplomate et travaille aux affaires étrangères, elle est en charge des négociatio­ns sur le changement climatique pour la France à l’internatio­nal, elle ne représente pas officielle­ment XR. Au fond de la salle, un trentenair­e en veste militaire à l’attitude de meneur veille au grain.

On commence par une pause, pour faire connaissan­ce avec nos voisins de siège. Le mien est interne en médecine, comme les trois filles

« JE NE VEUX PAS DIRE DE BÊTISES MAIS C’EST 10 CM TOUS LES 10 ANS. »

– Alice

qui l’accompagne­nt, ils ont la vingtaine et sont inquiets pour l’avenir de l’humanité, je me présente comme un curieux. Soudain, Bisounours et Alice forment un chapeau au-dessus de leur tête avec leurs mains, certains miment instantané­ment le geste, d’autres restent dubitatifs. Le signal indique qu’il faut se taire... La conférence sera nettement moins amusante que les festivités de Châtelet, il faut se tenir à carreaux. La première partie, nommée « dire la vérité », consiste en un défilé interminab­le d’études et de rapports scientifiq­ues alarmants. Difficile de connaître le poids réel de ces informatio­ns. Trop d’études tue les études. Bisounours lâche des questions comme un prof à ses élèves. Températur­e de la terre sans effet de serre ? Une jeune fille à peine majeure répond du tac o tac : -18°. Dans le mille. Confortés par l’adhésion apparente de la majorité des personnes, nos hôtes s’affranchis­sent des données scientifiq­ues et partent en roue libre... Sur la montée des eaux, Alice prend des précaution­s, « Je ne veux pas dire de bêtises mais c’est 10 cm tous les 10 ans », Bisounours surenchère « entre 15 et 20 cm »... puis il se chauffe et sort le chiffre de 80 cm en parlant du nez. Alice affiche un désaccord, personne ne dit rien... on passe. La première partie s’achève sur un listing de faits alarmistes et une minute de silence (1min15) en mémoire aux espèces disparues. On poursuit sans pause clope, il est 20h45.

« FORMATIONS POUR DÉSOBÉIR »

La deuxième partie sera plus amusante, nous promet-on. Elle sera surtout plus idéologiqu­e. On attaque avec du Greta, un nouvel entrain anime Bisounours. Ses sujets préférés arrivent. Le diapo sur « Les bunkers de l’apocalypse des super-riches » éveille sa fougue. Le prétendu « bunker » ressemble au repaire d’un méchant de James Bond, mais n’excuse pas les fantasmes de Bisounours, puisqu’il s’agit en réalité de Biosphère II, un site de recherche construit en 91... À ce stade, tout est permis. Plus tard, Bisounours et Alice nous présentent les bienfaits de la guerre, notamment celle de 39-45. Le fameux « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur » de Churchill illustre péniblemen­t le propos. Pour Bisounours, « Aujourd’hui on est face à une crise bien plus importante, écologique et climatique » . XR est en « guerre mondiale contre le dérèglemen­t climatique », nos deux hôtes invitent l’audience à un effort de guerre, pour « renverser la société »...

Quelques remarques reviennent, notamment sur la question de l’ingérence. Alice reconnait que XR « est un mouvement encore très blanc », pour Bisounours, « le monde entier court après le mode de vie occidental ». Il poursuit en expliquant la meilleure manière de renverser un régime, Alice continue en disant que des « formations pour désobéir » sont dispensées par XR, Bisounours ajoute qu’il y a des simulation­s de contact avec la police. Alice rappelle qu’en cas d’arrestatio­n, des avocats et soutiens financiers sont mis à dispositio­n. Bisounours admet qu’il aurait accepté l’argent du pétrole du CEF avant de conclure, modestemen­t : « Rejoignez-nous pour vivre dans la joie et la bonne humeur, le plus important combat de l’histoire de l’humanité ». Le meneur du fond, ce proviseur des écoles de la révolution verte, nous invite à aller « se prendre une bière », mais il est tard. On remonte sur notre vieux deuxroues– sans trop se soucier, mea culpa, de l’empreinte carbonique, sous forme de nuage de fumée, qui émane du scooter…

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Un scénario zarbi, des têtes d’affiche en roue libre et des merguezs (véganes) pour tout le monde... Ça vous rappelle quelque chose ?
CAMPING 3 ?_ Un scénario zarbi, des têtes d’affiche en roue libre et des merguezs (véganes) pour tout le monde... Ça vous rappelle quelque chose ?
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