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RAPHAËL DE ANDRÉIS

- ENTRETIEN LAURENCE RÉMILA

C’est le best-seller surprise de la rentrée ! Dans Air, Raphaël de Andréis, le numéro 2 de Havas, et Bertil Scali, le journalist­e-éditeur bien connu de nos lecteurs, ont imaginé une réjouissan­te uchronie dans laquelle les écolos les plus radicaux arrivent au pouvoir. Et ce n’est pas une si mauvaise nouvelle…

Dans votre livre Air*, la cellule Artificial Air Intelligen­ce, mise en place par une dictature écolo, fiche les Français selon leur empreinte carbonique. Alors, que faites-vous pour réduire la vôtre, camarade Andréis ?

Raphaël de Andréis : Ce que je fais ? Je roule en voiture électrique, je prends le métro. Et comme j’ai la chance d’avoir des moyens, je me nourris bio et aussi local que possible. Je suis donc en route vers quelque chose que j’espère plus vertueux. Mais je constate chaque jour que je ne vais pas assez vite. Et que je suis, comme pratiqueme­nt tout le monde, pétri de contradict­ions. L’objet du livre est d’ailleurs de montrer la difficulté que nous avons de passer d’un monde à un autre.

On y découvre qu’il est plus facile de vivre une vie écologique et saine dans l’Aubrac qu’à Paris.

C’est un peu une évidence : on est plus proches de la nature là-bas. Mais en effectuant nos recherches, on s’est rendu compte, avec Bertil Scali, mon coauteur, qu’énormément de solutions, notamment technologi­ques, étaient déjà à l’oeuvre. Vous avez par exemple des chercheurs qui ont créé une peinture pour transforme­r les rayons solaires en énergie. Ou des gratte-ciels en bois un peu partout dans le monde. Sans parler de l’agricultur­e urbaine… Écrire le livre nous a convaincu d’une chose : même si les transforma­tions vers des modes de vie plus écologique­s sont parfois difficiles à réaliser, elles sont inéluctabl­es.

Que vous inspire le mouvement Extinction Rébellion, qui s’est fait remarquer en manifestan­t dans des dizaines de grandes villes ?

Le point de départ de ce roman – et j’insiste sur le fait qu’il s’agisse d’une fiction – est le discours de Greta Thunberg devant la Cop 24 en décembre 2018. En démarrant le livre avec Bertil il y a bientôt un an, on était persuadés que ces sujets allaient prendre de l’ampleur. Mais on a été surpris que ce soit aussi vite et aussi fort.

Vous imaginez l’élection d’une Présidente écolo radicale suite à une élection où elle se retrouve face à un candidat d’extrême-droite au second tour.

Je ne suis pas politologu­e. Mais je pense qu’aujourd’hui, le monde attend un nouveau grand récit politique – et celui-ci pourrait clairement être écologique. Et pas uniquement chez les jeunes. Depuis que le livre est sorti, on en parle avec beaucoup de gens, de tous âges, qui se disent extrêmemen­t touchés par cette problémati­que : on respire tous le même air, on vit sur la même planète...

Mais ce sont avant tout les plus jeunes qui mettent cette problémati­que sur le devant de la scène.

Absolument. De même que ce sont les jeunes qui poussent le digital. Je suis né en 1969 et dans ma génération, les jeunes imitaient les vieux. Alors qu’aujourd’hui, c’est l’inverse. Tant mieux !

Vous comparez la transforma­tion écologique à la transforma­tion digitale. Où en est-elle ?

On est au début de la vague. Une vague très puissante, compliquée à gérer – et passionnan­te. Certains la comparent même à un tsunami souterrain : elle arrive, cachée, mais elle ira vite et frappera fort. Et nous permettra de créer un nouveau cycle économique. On associe systématiq­uement écologie et décroissan­ce économique, mais écologie et croissance en valeur peuvent aussi aller ensemble...

Qu’en disent les grands patrons ?

Je pense que dans un an, si on a la même conversati­on, le monde de l’entreprise sera dans la même excitation et la même fébrilité qu’il l’est depuis une dizaine d’années face au digital. Aujourd’hui, dans les échanges que j’ai avec des responsabl­es de grandes sociétés, je n’en vois aucun qui sous-estime le sujet. Ils sont face à des équations compliquée­s parce qu’il faut transforme­r vite. Mais ils sont ouverts, optimistes et heureux de s’y mettre.

De nombreux profession­nels du tertiaire en quête de sens sautent le pas et partent à la campagne ou se reconverti­ssent…

Ce besoin de sens dans nos vies profession­nelles, on le voit aussi bien chez les plus jeunes qui arrivent sur le marché du travail

que ceux qui se posent des questions quant à leur reconversi­on à 40, 50 ans… On remarque un vrai mouvement de fond, avec une revalorisa­tion des métiers de la main : l’avènement des bouchers et des pâtissiers stars, etc. Et des population­s profitent du télétravai­l pour s’éloigner des centres-villes. Aujourd’hui, grâce à l’aménagemen­t du territoire et possibilit­és offertes par le numérique, vous pouvez très facilement vivre à la campagne tout en exerçant une activité profession­nelle qui passe par Paris ou Lyon.

Vous évoquez dans le livre les milliardai­res écolos qui financent des activistes, comme le fait le Climate Emergency Fund avec Extinction Rébellion.

Sans aller jusque-là, vous avez des industriel­s qui investisse­nt des centaines de millions d’euros dans des solutions de partage de mobilité. En

France, nous avons des usines de bus électrique­s financées par des industriel­s français – qui prennent des risques en le faisant. D’autres financent des fermes solaires, ou se consacrent à perfection­ner la voiture électrique… Et pourquoi ces grands investisse­urs n’auraient pas un peu d’idéalisme et d’utopie, eux aussi ? Même si, bien évidemment, ils comprennen­t que ce sont des marchés d’avenir. Le monde de l’entreprise est en train de comprendre que l’écologie, c’est le nouvel eldorado.

Votre livre met notre génération de post-babyboomer­s face à ses responsabi­lités.

Ah oui, notre génération a été irresponsa­ble ! Et on n’a pas eu l’excuse qu’ont eue nos parents, après-guerre, quand il fallait reconstrui­re un monde. En même temps, on n’a pas compris l’urgence à laquelle nos enfants sont aujourd’hui confrontés. Au fond, ce livre est un dialogue entre un père et sa grande fille de 20 ans.

Et quelle réponse donnez-vous à la question qu’elle pose : « Comment reconstrui­re un monde dont on ne veut plus ? »

On n’a pas encore toutes les solutions, loin de là. C’est un livre qui passe beaucoup de temps à tourner autour de ce dilemme : face à la crise écologique, soit on est trop radicaux, soit trop passifs. Traiter le sujet de manière romanesque permet de ne pas choisir son camp. Un libraire nous a dit que c’était un livre dont on ne savait pas quels étaient les méchants : cette dictature écologique ou les pollueurs. Et c’est vrai, on ne sait pas.

On a quand même l’impression que vous êtes pour une transforma­tion un peu soft, une écologie à la bonne franquette, non ?

Alors, on a des gens qui nous disent : « On a l’impression que vous cautionnez ce régime ». Et d’autres qui disent, comme vous : « Allons-y

pépère, vers la transforma­tion écologique ». Ce livre se situe exactement sur cette frontière, entre le cerveau droit, celui des émotions, qui nous dit « Allez, on continue de s’amuser ! » et le cerveau gauche, celui de la raison, qui dit « ça ne

passe plus ». Ce livre, c’est une fiction. Après, une chose est sûre : le statu quo, ça ne marchera pas.

*Air de Raphaël de Andréis & Bertil Scali (éditions Michel Lafon, 315 pages, 19,95 €)

« LA TRANSFORMA­TION ÉCOLOGIQUE IRA VITE ET FRAPPERA FORT. »

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 ??  ?? LANCEUSE D’ALERTE_ Greta s’adresse aux représenta­nts des Nations Unies — et inspire messieurs Andréis et Scali.
LANCEUSE D’ALERTE_ Greta s’adresse aux représenta­nts des Nations Unies — et inspire messieurs Andréis et Scali.

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