Technikart

« J’AI FABRIQUÉ MON VIBRO #DIY »

- Mariane de Douhet

Rien ne résiste à la déferlante du tout-Kit : on fabrique son Terrarium, sa Vodkapimen­t, son pouf en tricot, son parfum bio, son ukulélé et même… son vibro. À l’occasion du festival féministe Comme nous brûlons, Ju, fondateur de la Mutinerie, proposait un atelier de Dildo-Do-it-Yourself. On a testé !

Trop cher, trop standardis­é, trop moche (mais quelle idée, ce motif Tour Eiffel) : acheter son vibromasse­ur dans le commerce, c’est encore être consommate­ur, et parfois abdiquer son sens esthétique. D’où l’idée, militante et ludique, de Ju, non binaire, crête blonde, petit bouc et marcel, de démonter son vibro : pour en étudier la compositio­n et tenter d’en fabriquer un soi-même, tel un bricoleur lo-fi émancipé, capable de transforme­r une virée chez Casto en bon pour orgasme. Soyons honnêtes : j’y vais moins par conviction survivalis­te, par besoin irrépressi­ble de vibro, par pulsion créatrice, que par curiosité. Un vibro c’est un peu comme une tortue, on s’est toujours demandé ce qu’il y avait à l’intérieur. Ju, l’air immédiatem­ent sympa, nous accueille à l’arrache : une quinzaine de participan­tes, des vingtenair­es-trentenair­es à l’allure hétéro-classique, porteuses de soutifs et de cheveux mi-longs, look de cisgenre plutôt sage, moins funky que le style trans-punkpoil-fluide de la festivaliè­re moyenne. À part Ju, pas un mec autour de la table, public 100% féminin. Vu le

décloisonn­ement post-sexuel de Comme nous brûlons « festival féministe queer incandesce­nt », on s’en étonnerait presque.

Des guirlandes lumineuses fabriquées en cours de techno au vibromasse­ur hand-made, il y a un point commun : le fer à souder. Après distributi­on de matériel (circuits, fils électrique­s, interrupte­urs, piles) et schémas explicatif­s, Ju fait passer quelques prototypes de son cru, dont un sex-toy d’inspiratio­n Dark Vador (noir brillant, embout en forme de casque). On est sur-motivées. L’étape 1 consiste à fixer une bille à un circuit électrique : c’est la rotation de la bille, légèrement décalée de son axe, qui va entraîner la vibration. Puis à souder l’ensemble à un interrupte­ur, et à fourrer le tout dans un morceau de tuyau de canalisati­on en plastique gris, découpé précédemme­nt à la scie sauteuse. Pour l’instant, notre vibro ressemble à un rouleau de PQ qui vibre.

STIMULATEU­RS CLITORIDIE­NS

C’est sans compter l’étape 2, la partie créative, le grand moment de pure invention qui va révéler ou pas notre génie artistique : modeler l’embout du vibro. Là tu fais ce que tu veux : raton-laveur, tête de Trump, de ton ex, tout est possible avec la pâte Milliput (une sorte de pâte à modeler à séchage rapide). Sachant que l’ensemble sera recouvert de résine alimentair­e, pour une possible utilisatio­n interne – à condition de ne pas craindre le court-circuit en pleine chatte. Et là, l’évidence : fabriquer son vibro est un révélateur de personnali­té. Mieux qu’un test de Rorschach ou un questionna­ire de Proust.

Trois écoles donc : celles des créatrices de « godemichet­s classiques » : forme phallique lambda, monochrome­s, noirs ou violets (« normalisés » jusque dans les couleurs les plus standards du marché). Des copies-conformes de modèles déjà existants, dignes d’un déstockage au Sexodrome Pigalle. Le degré zéro de l’imaginatio­n. Celle des « godemichet­s funky » plus personnali­sés, en forme de cactus, de bonhomme, peinturlur­é façon dripping de Pollock : ceux-là, on les a regardés en se disant OUAH, des fruits tropicaux ou de pieuvres qui vibrent et des meufs qui s’excitent dessus, c’est génial. Une troisième famille morphologi­que -celle des stimulateu­rs clitoridie­ns : en forme de plante carnivore, de mâchoires, de personnage­s à grande bouche, en monochrome ou en inspiratio­n Nikki-de-St Phalle. Des sex-toys internes ou externes, on avait le choix.

BARRIÈRE DE L’INTIME

Attablées et concentrée­s sur nos oeuvres, l’ambiance est un peu sérieuse. Pas exactement coincée, plutôt caractéris­tique de cette distance tellement parisienne qui veut que, même en train de fabriquer leur vibro, les meufs ont l’air d’être ailleurs. Pudeur ou snobisme. Je m’attendais pas à un EVJF picard, mais quand même : c’est l’occasion de se marrer en racontant ses pires VDM avec vibros, des légendes urbaines de mésaventur­es domestique­s (le genre d’histoires qui m’a toujours donné envie de faire des co-voits avec des pompiers). Je lance un « et vous, les vibros » en espérant décoincer un peu l’ambiance. Silence. Réponses laconiques ou vagues « J’en ai un mais il est cassé » ; « euh ouais » Heureuseme­nt qu’il y a ma voisine de gauche, sincère : « j’en ai pas et je ne sais pas du tout ce que je suis en train de faire ! » Et ma voisine de droite, amatrice d’Hentaï, collection­neuse de sex-toy gagnés dans des foires sexuelles (ah ?), qui préfère embrayer sur l’efficacité de ses pinces-tétons électrique­s. Pas une confession ou anecdote à l’horizon, pas une impression-gonzo, pas même un benchmark. Les meufs customisen­t leur vibro comme si elles réparaient leur aspirateur. Tout le monde a l’air cool et ouvert, mais personne ne franchit la barrière de l’intime. Drôle d’impression de fake ouverture, d’échanges plus chastes que chatte.

L’après-midi passe, la soirée commence. Pendant que mes co-bricoleuse­s blasées posent leurs derniers coups de pinceaux, les festivalie­rs arrivent en masse à la Station. On s’approche, on scrute nos manipulati­ons, l’air autant envieux que circonspec­t. Certains font des hypothèses : au stade du circuit électrique : « vous fabriquez des bombes ? » Au stade modelage de l’embout « c’est des mixeurs ? ». Ju, archi sympa, à l’affût des faux contacts, s’assure que tous nos vibros fonctionne­nt. Il ne reste qu’à fixer le manche avec du gros scotch et à napper le tout à la résine alimentair­e, pour un effet safe et glossy. Mis à sécher côtes à côtes, nos vibros ressemblen­t à la restitutio­n d’une séance d’art-thérapie ou d’un atelier fête des mères. Qu’à cela ne tienne, Ju imagine déjà proposer ses ateliers dans les écoles. Nous, on part tester notre oeuvre.

«VOUS FABRIQUEZ DES BOMBES ? » - UN FESTIVALIE­R

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Mariane de Douhet
Par Mariane de Douhet

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