LA DIXIÈME SYMPHONIE DE MALICK
Le chemin de croix d’un objecteur de conscience autrichien refusant de prêter serment à Hitler. Signé Terrence Malick, un trip immersif, d’une hallucinante puissance formelle.
UNE VIE CACHÉE TERRENCE MALICK
(EN SALLE LE 11 DECEMBRE)
C’était le fantôme du cinéma US, un ermite qui disparut pendant 20 ans pour aller étudier les oiseaux aux quatre coins du monde, puis vivre caché à Paris. Mais depuis 2011 et le triomphe de Tree of Life, Terrence Malick enchaîne frénétiquement les films. Encore plus fort, en mai dernier, le cinéaste de 76 ans était présent dans le Palais du festival de Cannes et a longuement salué le public suite à la projection d’Une vie cachée.
Après une série de films où il bouleversait la structure narrative pour un cinéma impressionniste, quasi expérimental, Malick s’essaie à une narration plus linéaire et signe son film le plus limpide, le plus lumineux depuis Tree of Life. Il revient sur la Seconde Guerre mondiale, qu’il avait déjà abordé dans La Ligne rouge, et s’attaque à l’histoire vraie de Franz Jägerstätter, objecteur de conscience autrichien qui a refusé de prendre les armes et a dit non à Hitler. La première partie du film se déroule dans les sublimes paysages du Tyrol et Malick compose une symphonie polysensualiste, une ode à la vie et à l’amour. Chaque plan s’apparente à un tableau, Malick sculpte une lumière quasi divine, avec la caméra en apesanteur du chef op’ Jörg Widmer, qui avait déjà collaboré à Tree of Life. Tout est transfiguré : une balade à moto, une cascade, deux paysans qui fauchent la luzerne, des nuages dans le ciel, le regard d’un enfant, les saisons qui passent… Malick immerge le spectateur dans un autre temps, au coeur d’une beauté tellurique. La musique, les voix off, refus des dialogues classiques, la lenteur assumée, Malick propose une expérience sensorielle, panthéiste, un trip immersif, avec une puissance formelle hallucinante.
VOYAGE AU COEUR DE LA CONSCIENCE
Bientôt, des images en noir et blanc de l’armée du Reich et d’Adolf Hitler filmées par Leni Riefenstahl viennent fracasser cette harmonie. Ostracisé dans son village, puis emprisonné, torturé, séparé de sa femme et de ses enfants, Jägerstätter refuse obstinément de faire allégeance au nazisme et de se sauver. Pour nous sauver tous… Et quand l’univers se referme sur ce héros bouclé entre quatre murs, Malick joue alors la carte de l’épure, avec une pureté qui touche au génie. Constituée de fragments de lettres d’amour que Jägerstätter envoyait à sa femme, la voix-off sature la bande son, la musique retentit comme dans une cathédrale et Malick t’embarque pour une dernière partie insoutenable, un voyage au coeur de la conscience. Et soudain, une épiphanie ! Après la poésie convulsive de ses premières images, Une vie cachée subjugue par la radicalité de son propos, par sa vision de la foi et parvient à s’adresser directement à l’âme du spectateur. Malick te met à genoux mais te permet de toucher le ciel. Sublime. Définitivement le film de l’année.