BOUROUISSA, SUCCÈS SANS EXCUSES
De sa rétrospective aux Rencontres Photographiques d’Arles à cette exposition surprise à Gennevilliers, Mohamed Bourouissa boucle avec audace une année symptomatique de sa capacité à bousculer, de l’intérieur, les codes du monde de l’art.
DÉSOLÉ
GALERIE EDOUARD MANET (JUSQU’AU 14 DÉCEMBRE)
LE TOIT_
Oeuvre de Rayane Mcirdi, (2018-2019, capture d’écran)
Une bête notification Facebook. Voilà comment je tombais, deux semaines avant son ouverture, sur cet énigmatique événement : « Vernissage I Désolé. Un commissariat de Mohamed Bourouissa. ». Après une rétrospective aux Rencontres d’Arles cet été, et près d’un an après avoir reçu les honneurs d’une première exposition dans une grande institution française, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, figure de proue de cette génération française parvenant aujourd’hui à la consécration.
Ce line-up mêle de nouveaux cadors quadra – Neil Beloufa, représenté par Kamel Mennour et auteur d’une importante exposition au Palais de Tokyo l’an dernier, Julien Creuzet, Laura Henno, Martha Kirszenbaum et, un peu plus jeunes, Gaelle Choisne et Sabrina Belouaar – à de pointus nouveaux – Sara Sadik, initiatrice en pleine bourre de l’esthétique « beurcore », Rayane Mcirdi, Neïla Czermak Ichti, à peine sortis d’école – sous le patronage d’une légende new-yorkaise de la peinture noire du XXème siècle, l’artiste Henry Taylor. Le tout présenté dans la Galerie de l’école municipale des Beaux-Arts de Gennevilliers, établissement relativement outsider, bien que Lionel Balouin y mène depuis 17 ans une action protéiforme pour développer les liens entre le quartier et le monde de l’art.
NOUVELLE FRONTIÈRE
Pour comprendre ce projet singulier, il suffit de se pencher sur l’oeuvre et la carrière de Mohamed Bourouissa. La quarantaine passée, celui que représente depuis 10 ans Kamel Mennour est déjà reconnu mondialement pour avoir été parmi les premiers à donner à voir une esthétique venue des banlieues, celle-ci ne se construisant pas tant dans l’opposition fantasmée à un centre que la propre affirmation d’elle-même. Cette inclusion par la représentation, Bourouissa la déploie autant dans son travail (nous vous conseillons sa série Périphérique : faux reportage anxiogène, mais vrai jeu avec l’histoire de l’art au bas des barres) que sa volonté de collaborer avec d’autres artistes, ceux notamment des quartiers alentours à Gennevilliers, qu’il habite.
Cette exposition Désolé n’a que faire de s’excuser. Le titre a été choisi par Bourouissa pour déjouer la fatigue des lieux communs. Désolé d’être ici ? Désolé de présenter presque exclusivement des artistes noirs et arabes ? Désolé de ne pas user des poncifs habituels de l’art par, et sur, ceux ayant grandi en banlieue ? Tout le contraire.
En guise de texte d’exposition, Bourouissa égrène les buzzwords du commissariat inclusif – « histoire de la représentation, histoire des identités, de la multiplication des regards » – pour finalement laisser à ces concepts leurs valeurs abstraites et préférer le flou, l’arbitraire et le hasard : la liberté de chaque artiste d’inventer son propre langage. Si d’Henry Taylor, 61 ans, à Mohamed Bourouissa, demeurait cette nécessité de représenter un monde exclu encore de l’art, le game a changé, et Bourouissa le montre. En exposant 11 artistes issus de l’immigration, l’artiste-commissaire nous emmène au bout de sa démonstration : la nouvelle frontière de la liberté n’est plus tant de laisser chacun s’exprimer que, désormais, leur laisser les coudées franches pour défricher de nouveaux horizons plastiques.
Galerie Édouard Manet, 3 place Jean-Grandel, 92230 Gennevilliers