NICOLAS GODIN
Le cerveau de Air sort un splendide album solo complètement à contrecourant de la camelote contemporaine. Un tel disque peut-il fédérer les foules à l’heure où triomphe Aya Nakamura ? Rencontre avec un esthète qui ne se remettra jamais d’avoir grandi à côté du château de Versailles.
La dernière fois qu’on avait interviewé Nicolas Godin, en 2015, il s’agissait déjà d’un projet clivant : son album Contrepoint était construit autour de réinterprétations de morceaux de Bach – idée qui n’effleurerait jamais Bruel ou Booba. Cette foisci, avec Concrete and Glass, le point de départ n’est pas plus mainstream : à l’origine, il s’agissait d’accompagner une série d’expos de Xavier Veilhan en composant des morceaux ayant un lien avec l’architecture des maisons accueillant lesdites expos. Ces titres, qu’on imagine assez abstraits, Godin les a ensuite retravaillés pour leur donner une couleur plus pop, en invitant quelques chanteurs, dont Alexis Taylor de Hot Chip. Le résultat est sans surprise plus élégant et emballant que tout ce qui sort ces jours-ci : néoclassique et moderne, il sonne comme du Debussy d’aujourd’hui.
Pour en parler, on retrouve Godin dans le tout nouveau studio qu’il vient de s’aménager près du boulevard du Montparnasse, pas très loin de chez le chanteur Christophe, qui deviendrait fou en écoutant ce disque. Godin a racheté l’ancienne école de danse de sa fille, et a lui-même dessiné les plans avant de faire les travaux. Autour de nous, les synthés scintillent. L’endroit est une tour d’ivoire qui donne envie d’ouvrir une bouteille de champagne et de s’allonger sur un canapé sans limite de durée. Il nous faut hélas travailler. Alors qu’on sort nos quelques questions, on aperçoit un livre posé sur un piano : La Cathédrale
de Chartres dans tous ses états. La distinction est dans les détails. En allumant le magnéto, on remarque que notre hôte nous répond en mocassins. Les baskets attendront, pas notre interview
Tu as vingt ans de carrière derrière toi, mais Concrete
and Glass aurait pu être ton premier album : tu y reviens à ta passion de jeunesse, l’architecture.
Nicolas Godin: C’est vraiment le fruit du hasard, rien n’était calculé. Il y a quelques années, Xavier Veilhan exposait ses oeuvres dans des maisons célèbres. Il m’avait demandé de lui créer des morceaux. Je me suis retrouvé avec tous ces titres, que j’ai complètement remodelés pour faire Concrete and Glass. Quand j’avais composé « Modular Mix » en 1995, j’étais encore étudiant en archi. Je faisais une fixette sur Le Corbusier et j’avais remarqué qu’il avait tout codifié pour l’habitat, sauf le son. Alors que c’est tellement important, le son ! Quand tu vas dans un lieu où l’acoustique n’est pas bonne, tu ne te sens pas bien. « Modular Mix », c’était moins de la musique que du son, un son pour habiter l’espace d’une maison conçue par Le Corbusier. C’est une énorme boucle de revenir à ça aujourd’hui par le truchement des expos de Xavier…
Le Corbusier reste ta grande référence architecturale ?
Non, j’ai évolué. Le Corbusier était quand même trop protestant. Il voulait marquer le coup, et a exagéré dans l’austérité. Et puis il était dans la démocratisation, il tenait à montrer que le beau pouvait être accessible à tout le monde. Ses maisons n’étaient pas faites dans des beaux matériaux, elles étaient mal construites, mal isolées, il y faisait chaud l’été et froid l’hiver. Il était très anti confort… Quand tu visites son appartement rue Nungesser et Coli, près du Parc des Princes, tu vois son lit dans sa chambre à coucher. Tu comprends que c’était un génie mais aussi un malade mental. A part lui, qui pouvait dormir là-dedans ? C’est un truc de dingue. Le dépouillement absolu. Le côté cosy des Anglo-Saxons lui était étranger, alors que j’aime beaucoup cette petite touche sexy, sensuelle, que tu trouves en Californie dans les maisons de John Lautner ou Pierre Koenig. Il faut un minimum de chaleur, dans la vie.
Tout cela ne vaut pas le château de Versailles, si ?
Versailles, c’est d’une modernité folle : des lignes parallèles, une pureté absolue en termes de design. Le château, le Petit Trianon, le Grand Trianon, les perspectives de Le Nôtre, le Grand Canal : l’effet esthétique est saisissant. Quand tu vois les châteaux de la Loire, à côté… Versailles ne correspondait pas aux critères architecturaux de l’époque. C’était révolutionnaire, génial. Et quand tu penses à Marly, l’autre château de Louis XIV qui a été détruit, c’était un délire. Les gens cherchaient alors à créer le futur !
Partir d’un concept, comme toi ici avec l’architecture, ce n’est pas un peu paralysant ?
Attention : je n’aime pas les albums concepts hyper prétentieux, hyper chiants. C’est juste que, pour commencer, j’ai besoin d’une idée forte. Avoir un concept te sert à lutter contre la page blanche, ça te donne l’énergie pour te lancer. Une fois que tu es parti, il faut oublier le concept. Une configuration apparaît alors, l’inspiration remplace la théorie, et c’est à toi d’assembler les choses. Tu n’as plus à te torturer, il faut faire abstraction de ton libre-arbitre : la musique prend le pouvoir et tu en deviens l’esclave, c’est elle qui t’impose tel ou tel choix. C’est le côté ludique et excitant de la création. Le soir, tu finis ton morceau et il a pris une direction que tu n’avais pas prévue…
Ton disque peut paraître intello alors qu’il est assez punk dans son genre : une contre-proposition à rebours de tout ce qui marche actuellement.
C’est peut-être punk à sa manière, mais ce n’est pas voulu. Aujourd’hui, je serais incapable de faire quelque chose qui marche. Même copier un tube, je ne saurais pas. Ce n’est pas que je sois un grand original, plutôt que le son de l’époque m’échappe. C’est aussi une question de génération. Au moment où j’ai commencé, j’étais à la pointe de la technologie. Quand du nouveau matériel sortait, j’étais le premier à l’avoir. Entre 1995 et 2002, je maîtrisais tout l’univers de la production, sauf que c’est resté mon vocabulaire. D’autres sont maintenant à la page. Chacun son tour.
Tu vas avoir 50 ans dans un mois…
Il y a une sorte de fatalité qu’il faut accepter. Quand je débutais et que je voyais des musiciens de 50 ans, même ceux que j’admirais, j’avais de la peine. Je me disais : les pauvres, c’est fini pour eux. Je ne pensais pas alors arriver à cet âge-là et continuer à faire de la musique. Ce qui me pousse à enregistrer, c’est la partie orgueilleuse en moi. Je voulais être fier de Concrete and Glass, tel était mon challenge. Faire quelque chose qui a de la tenue, encore à mon âge, c’était important. Je ne voulais pas avoir l’air ridicule…
Pour ce disque, tu as ressorti ton vocodeur. Tu penses quoi de la généralisation de l’Auto-Tune ? Quelqu’un comme Neil Hannon, qui a ton âge, est très critique.
Il ne faut pas confondre deux outils différents. Personnellement,j’utilise le vocodeur d’une manière organique, de la même façon qu’en 1995. A l’origine, le vocodeur servait à faire des voix de robots. Puis il a été un peu délaissé. Quand j’ai commencé, je cherchais une nouvelle manière de m’en servir : je voulais trouver des voix douces, des voix d’anges, un truc éthéré, romantique, français au sens Debussy ou Ravel, des choses évanescentes, qui planent – ce qu’on trouve sur le premier Air avec « Kelly Watch the Stars » ou « Le Soleil est
« LE CHÂTEAU DE VERSAILLES, C’EST D’UNE MODERNITÉ FOLLE ! »