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BLANCHE GARDIN VUE PAR OSCAR COOP-PHANE*

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Elle s’accroche au pied du micro avec un air à la fois simple et complèteme­nt égaré, un dernier recul avant de parler toute seule. Elle est là, avec ses robes longues, ses cheveux gentiment coiffés, des mains qui s’agitent doucement et un corps qui reste droit, comme s’il était insensible aux blagues qu’il débite. Si l’on ne connaissai­t pas Blanche Gardin, on la supposerai­t atterrie là par hasard, à la manière de ces pauvres spectateur­s hissés sur scène par un magicien ordinaire.

Et puis, elle y va, attentats, adultère, dépression, fellation, sodomie bien entendu, tout est toujours drôle et jamais graveleux. Pourquoi ça passe ?

Pour l’intelligen­ce du propos déjà, mais aussi parce que l’on sent chez Gardin un réel amour des mots, comme si eux seuls pouvaient encore nous sauver.

Il y a l’époque aussi, comme un léger terrain de jeu, un petit cadre dont Gardin profite pour le rayer, le gratter ou le clouer sans détour. Cette époque, que l’on nomme trop souvent société, celle qui a ses faits comme l’on parle de faits de société et non seulement de faits divers, cette époque, dans la parole de Blanche Gardin, dans ses textes plutôt, n’est pas bêtement montrée du doigt pour ne rien dire. Il ne suffit pas de mettre le temps à poil pour toucher quelque chose.

À propos de fait de société, n’oublions pas que Blanche Gardin a refusé cette année d’être nommée à l’ordre des arts et des lettres, expliquant qu’il y aurait « quelque chose d’illogique » à accepter cette « propositio­n » de la part d’un gouverneme­nt qui oublie si radicaleme­nt ses promesses faites en campagne quant à la situation des SDF.

On rêverait que tant soient comme elle. Mais non, il n’y a qu’elle au milieu du bruit. Il n’y a qu’elle aussi, semble-t-il, sur ce terrain de l’humour, pour jouer aussi bien des malaises et des moments de gêne, pour apporter de jolies nuances dans des discours fabriqués à l’avance et destinés à être assemblés sur place. Préférons s’en réjouir ; la parole de Gardin a une valeur – des Desproges, on n’en construit pas tous les trimestres.

* son roman Morceaux cachés d’une chose paraîtra aux éditions Grasset en janvier.

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