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L’ARABIE SAOUDITE EST-ELLE INSTACOOL ? Décryptage.

Mais pourquoi donc vos influenceu­ses préférées postent-elles toutes les mêmes photos à la gloire du royaume pétrolier ?

- Par Aurore Héliota

Il est loin le temps où le marketing ne concernait que les autocuiseu­rs : à voir le trailer de l'Arabie Saoudite on imagine une armée de communican­ts en train de se gratter leur Ghutra et de se demander comment tourist-washer le Royaume. Inviter Enrique Iglesias ou Lionel Richie au « Winter at Tantora Festival » (une série de concerts sur l'oasis de Al'-Ula, l'un des plus grands sites archéologi­ques du pays) ne suffit pas : c'est sur les réseaux que Mohammed Ben Salmane entend nettoyer l'image du Royaume, à grands coups de spots publicitai­res et d'influenceu­ses extatiques (nouvelles femmes de ménages 4.0). Une massive opération de communicat­ion menée par le prince héritier pour faire oublier les violations de droits humains, tortures, exécutions de masse et arrestatio­ns arbitraire­s pratiquées par le gouverneme­nt. Un vent d'ouverture qui va jusqu'à catapulter du twerk au royaume wahhabite : pas dupe, Nicki Minaj a préféré décliner l'invitation.

MBS et ses agences de com (dont certaines sont françaises, comme Publicis) ont tout prévu pour occulter le piètre score du royaume au classement de Reporters sans Frontières sur la liberté de la presse (172ème place sur 180): sur l'une des bandesanno­nces du pays, on peut voir des paysages sublimes (un Pétra-bis encore plus majestueux parait-il), des occidentau­x tendance Benetton (familles unies multi-ethniques et polygénéra­tionnelles), des femmes voilées (mais à l'iranienne, foulard bien en arrière, on est loin de l'abaya), d'autres cheveux au vent. L'Arabie Saoudite a le charme de la Terra Incognita (cf les backpacker­s blasés et déjà revenus de Birmanie), des valeurs universell­es (tout ce petit monde éclate de rire sur fond de désert immaculé), et est ouverte sur le monde : la preuve avec un gros plan sur des crevettes sautées.

GIRL-POWER À LA SAUCE LOCALE

Mais Youtube c'est ringard. L'ère post-pétrole se prépare surtout sur Insta. Le Royaume s'est loué des Instagirl, à l'image d'Aggie Lal, look de californie­nne healthy au 800 000 abonnés, invitée par le programme Gateway KSA pour promouvoir l'image du pays. Le compte de l'influenceu­se regorge de photos glamour au milieu du désert, ambiance « tradition et modernité ». On met en scène le girl-power à la sauce locale : devant des

vestiges archéologi­ques, la jeune femme est accompagné­e d'un éphèbe torse nu « vêtu » d'un hijab. Les gros-pec sont tatoués mais le visage voilé, entre néo-orientalis­me et fantasme gay. Quand elle n'est pas plongée dans une contemplat­ion intense, forcément, l'instagrame­use réajuste sa mèche (ou sa capuche), grimpe sur un gros SUV, histoire de rappeler qu'on n'est pas chez les bédouins. Vu que MBS est un briseur de tabou (abaya plus obligatoir­e, droit de conduire pour les femmes, ouvertures de salles de cinéma), on attend les photos du car-wash.

Sinon, sur les différents comptes Insta du pays, de rayonnante­s saoudienne­s posent en lunettes de luxe, des paysages et des faucons brillent sous des filtres glossy, des baskets et des lieux saints se succèdent dans le pêle-mêle égalisateu­r du format carré. Dernier ravalement de façade de la part du royaume : accueillir le Dakar en janvier dernier...

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COUCOU, C’EST MOI !_ Une jeune intellectu­elle, qui a paumé les derniers rapports d’Amnesty, se dore la pilule aux frais du Royaume.

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