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LE ROI N’EST PAS MORT

Bien que certains lui reprochent ses idées réactionna­ires, Morrissey n’est pas qu’un vieux ronchon : en pleine forme à 60 ans, il sort l’un de ses meilleurs albums. Le vrai king of (indie) pop ?

- MORRISSEY I AM NOT A DOG ON A CHAIN (BMG)

Dans White, où il se foutait d’à peu près tout le monde, Bret Easton Ellis sauvait deux têtes de lard : Kanye West et Morrissey. S’il louait chez le premier son extravagan­ce dada, que saluait-il dans le second, qui nous concerne ici ? « Morrissey est enragé, drôle, franc, c’est une anomalie (…) et pour cela il semble qu’il soit constammen­t réprimandé dans la presse et sur les réseaux sociaux, parce qu’il parle honnêtemen­t et ne croit pas au récit généraleme­nt admis du gay de chez

Applebee’s. » Il n’y a pas que ce « récit généraleme­nt admis » qui laisse Morrissey sceptique. On sait qu’en politique, il aime ruer dans les brancards, appelant jadis à guillotine­r Margaret Thatcher, se plaignant aujourd’hui régulièrem­ent de l’immigratio­n qui dénature l’identité britanniqu­e – son soutien au For Britain Movement, parti d’extrême droite anti-islam, avait fait grincer quelques dents chez ses confrères chanteurs qui en ont encore (Shane MacGowan n’aurait pu se joindre à la meute). Avant de fermer la rubrique « idées », rappelons qu’avec John Lydon il fut l’une des seules vedettes anglaises à soutenir ouvertemen­t le Brexit. Ceci étant dit, passons aux pages « culture ».

ERIC ZEMMOUR GLAM-ROCK ?

Que Morrissey ait voulu sortir de l’Union européenne, c’est une chose. Il n’a en revanche jamais songé à quitter le circuit pop. Hormis une parenthèse de sept ans entre 1997 et 2004, il a toujours tenu le haut du pavé, sortant régulièrem­ent des disques, étant cité partout comme une icône – ce n’est pas pour rien qu’en 2013 il s’était payé le luxe de publier ses Mémoires dans la prestigieu­se collection Penguin Classics. Ce serait mélanger les torchons et les serviettes que de faire de Morrissey un Eric Zemmour glam-rock. Envers et contre tout, l’esthète grincheux serait plutôt un descendant baryton de Barbey d’Aurevilly. Preuve de dandysme, le ridicule ne l’effraie pas, il ose tout – pour s’en convaincre, on peut revoir le clip de « November Spawned a Monster », curiosité datant de 1990 où il se trémousse et se roule par terre dans une chemise transparen­te qu’on n’offrirait pas à notre pire ennemi. Son look est désormais plus sobre, mais sa voix est toujours pareille, peut-être même encore plus belle avec le temps (pas d’AutoTune ici). Depuis son chef-d’oeuvre Vauxhall and I (1994), ses albums alternaien­t le bon et le moins bon, le raffiné et le limite lourdingue. Avec I Am Not a Dog on a Chain, il tient l’un de ses sommets. Emballant du début à la fin, plein de mélancolie, de morgue et de mordant, ce nouveau disque égrène quelquesun­es des meilleures chansons de sa carrière solo : « Love Is on Its Way Out », « Knockabout World », « Darling, I Hug a Pillow », « My Hurling Days Are Done » et surtout « What Kind of People Live in These Houses ? », carrément fantastiqu­e. Les perdreaux de l’année auront bien du mal à égaler ce sexagénair­e toujours vert. Tant pis pour les Damon Albarn et autres que choquent les déclaratio­ns du maître. Pendons les DJs et sauvons la peau du dernier des crooners ?

LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

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