UN MOTEL HANTÉ DANS LE DÉSERT CHILIEN, DES GÉOGLYPHES, JOE STRUMMER, LA MAFIA RUSSE, UNE PONTIAC QUI FRACASSE L’ÉQUIPE PHOTO : C’EST LE TOURNAGE HORS NORME DE MANIFESTE PUNK SIGNÉ F. J. OSSANG.

Septembre 1996. Le cinéaste français F. J. Ossang tourne avec son gang au nord du Chili, à Iquique, un port en bord du Pacifique mais dont la route vers l'Atacama grimpe brusquement à 2000 mètres d'altitude. La lumière tombe rapidement. Le comédien Stéphane Ferrara conduit une Pontiac Trans Am. Pour une scène, il doit piler pour prendre en stop Elvire (la muse d'Ossang), sauf que les freins du bolide lâchent. Elvire fait un délicat pas de côté pour éviter le choc, mais la voiture percute l'équipe caméra à 50 kilomètres/heure. « Mes deux assistants et moi avons été projetés en l'air, se souvient le directeur de la photo Rémy Chevrin. Je me suis retrouvé par terre, dans le coma. Le Samu est arrivé, on m'a emmené à l'hôpital. Le médecin qui s'est occupé de moi m'a dit que j'aurais dû être coupé en deux et je suis sorti le lendemain. Je n'ai rien eu de cassé, juste ma clavicule droite et mes côtes qui se sont déplacées de cinq centimètres vers le haut. Et c'est resté comme ça depuis ! Encore plus dingue, pendant l'accident, j'ai vécu une situation de désincarnation. Je peux décrire seconde par seconde les 25 minutes où j'étais inconscient sur la route. Je voyais tout de 7 mètres de haut, mon corps par terre, les gestes des gens, j'entendais ce qu'ils disaient. Une sensation étrange… Cinq jours plus tard, on tournait à nouveau et je bossais dans une chaise roulante. » Bienvenue sur le tournage de Docteur Chance.

Fils de la Nouvelle vague et du punk, F. J. Ossang (de son vrai nom Jacques Plougeaut) est le poète de l'ailleurs, le flibustier du cinéma français. Écrivain, musicien, il passe à l'abordage du 7e art avec L'Affaire des Divisions Morituri en 1984, puis Le Trésor des îles chiennes, tournés dans l'urgence, financés dans la douleur mais sublimés par une esthétique irriguée par le cinéma muet. « Après l'échec public du Trésor, un producteur m'a proposé d'écrire dès 1991 un film très différent, Docteur Chance, se souvient Ossang. J'avais l'idée de faire jouer Vince Taylor, qui avait accepté le projet. Mais Vince est mort en août 91, alors que j'écrivais la première version du script. Je pense qu'il n'avait pas conscience d'être si malade… J'ai tenté l'avance sur recettes du CNC, et fini par l'avoir en

1993. L'année suivante, je suis parti trois mois en Amérique du Sud - Argentine, Uruguay, Chili éprouver le panthéisme américain. J'ai traversé tout le Chili en autobus. Après le Portugal et les

Açores, j'avais besoin de fuir en Amérique du Sud. La France des années 90 était déjà sinistre. »

Ossang aime bien les bandes. Comme le directeur de la photo des Iles chiennes, Darius

Khondji, est parti sur Se7en de David