LES NOUVEAUX ROMANTIQUES
C’est décidé ! Suite à ces derniers mois passés à la maison, nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir changer nos habitudes amoureuses. Moins idéaliste et plus réaliste, le couple 2020 se rêve en duo authentique, romantique... et capable d’affronter
Avec ma troupe de littéraires, nous sommes de retour dans notre QG du quartier latin. Rien n'a changé... en apparence. Pourtant, quand Charlotte - la chanteuse fétiche du cabaret -, 36 ans et célibataire, me confie qu'il n'y a pas mieux que de « vivre seule chez soi » tout en entonnant une ode à l'amour sur l'estrade quelques minutes plus tard, j'ai le sentiment que certaines choses ne sont plus tout à fait les mêmes. Un type, derrière moi, la vingtaine, raconte à sa pote : « on a emménagé ensemble un peu trop rapidement, et ça a été embrouille après embrouille : la prochaine fois, je prendrai mon temps. » Son interlocutrice, tout sourire, approuve de la tête. Et Pierre, 31 ans, confesse pour sa part : « la solitude ne me fait plus peur. Mais le couple – et je m'y prendrai un peu mieux les prochaines fois –, encore moins. » Ce qui nous caractérise ? Une forme de lassitude face à l'emballement habituel des relations amoureuses. Et, grand paradoxe, une vision plus sûre de ce que nous attendons du romantisme. « Et pourquoi pas un label « éthique » pour notre prochaine histoire ? » rigole Charlotte.
Désormais, l'amour devra-t-il être éco-responsable pour le millénial célibataire ? Irène, 23 ans, traitait les hommes « comme des bonbons ». Et puis il y a eu ces deux mois en tête-à-tête avec sa vie. « L'idée du couple commençait à me manquer, alors je me suis mise à chercher plus activement, analyse-t-elle. Bon, le premier type rencontré était un peu trop superficiel. Donc je poursuis activement mes recherches ! » Une bonne excuse pour s'envoyer des coquetèles sans culpabiliser.
Yseult, 22 ans, a beau se dire « célibataire épanouie », elle est en train de vivre « la fin d'une histoire riche en rebondissements et en apprentissages personnels – nous étions un peu trop jeunes, un peu trop pressés – comme une libération salvatrice. Maybe next time ? » Les chemins empruntés ne se ressemblent pas, mais la conclusion reste la même. Après plusieurs mois de réflexion, le célibataire refuse de donner trop d'ampleur aux aventures anodines.
Les nouveaux engagements dont on se refile les codes entre nous ? Ceux pris en toute connaissance de cause. Et non par adhérence à une idée préconçue – et, avouons-le, un peu vieillotte – de ce que
devrait être un couple. Quelques brèves de terrasse glanées ces derniers jours : Laura exulte, « j'ai su que c'était le bon quand il a arrêté de liker toutes les photos de copines aguicheuses sur Insta ! ». « On ne s'est pas dit LA phrase (« Je t'aime », ndlr), mais elle m'a déjà filé ses codes Netflix », constate Lucas. « Vivre ensemble ? On préfère louer deux apparts sur le même palier », asserte pour sa part Virginie.
Même Meetic, le site de référence du slowdating, balance des chiffres post-confinement où le grand gagnant est... la relation sérieuse. Selon son étude, menée auprès de 7000 utilisateurs, 63% des célibataires se disent prêts à s'engager sur le long-terme. Et, pour la majeure partie d'entre eux, « prendre le temps de faire connaissance » fait désormais partie des conditions sine qua non de la relation amoureuse. « J'adorerais être en couple et je crois que je peux rester longtemps avec quelqu'un. Mais l'idéal c'est d'y aller en douceur », avoue Charlotte, notre dilettante de 36 ans.
Et pour ce qui est du couple ? Il ne se définit plus par ce qu'il est, mais ce qu'il fait. Greg, 43 ans, en couple depuis cinq ans, s'est installé chez sa copine en début de confinement, « et depuis, je ne suis jamais reparti. Je suis facile à vivre, à partir du moment où j'ai la paix. Et j'essaie de respecter la sienne ! » Pour Florent, 36 ans, en couple depuis sept ans, « c'est l'année du grand changement. Avec ma chérie, on a
LE MISANTHROPISME N’EST CLAIREMENT PAS POUR VOUS ? ÇA TOMBE BIEN, LE TEMPS DES RENDEZ-VOUS EST DE RETOUR ! GÉRALDYNE PRÉVOT-GIGANT, PSYCHOPRATICIENNE ET AUTEURE DE LA FORCE DE LA RENCONTRE, NOUS FAIT UNE MISE AU POINT.
Comment se rencontre-t-on post-Covid ?
GÉRALDYNE PRÉVOT-GIGANT : paraître, les gens n’ont pas peur.
Il y a comme un corps à corps nécessaire avec l’autre qui est peut être l’incarnation d’une pulsion de vie. Le confinement nous a plus rapprochés qu’éloignés. Il nous a fait prendre conscience de l’importance d’être ensemble. étape avant la rencontre physique. Les personnes prennent davantage leur temps et dénigrent moins les sites de rencontre. D’ailleurs on voit émerger la tendance du de plus en plus répandue. Cet arrêt brutal a permis de s’autoriser un rythme différent. La quête de la rencontre n’est plus la même. Peut-on encore se permettre d’être romantique ?
Je dirai même que c’est le retour du romantisme ! Comme si cette pause imposée avait entraîné davantage de découvertes dans les façons de communiquer. C’est comme si on avait le droit de prendre son temps. Ce n’est plus considéré comme has-been ou vieille école. On se sent légitime dans cette tendance. C’est un romantisme redéfini, moins consumériste, plus dans l’être que dans le faire.
Et de n’être pas sérieux ?
Léger ? Oui. Je pense que ça touche la relation à la vie. Quelqu’un qui se lancera avec
décidé de quitter Paris pour Dijon. De l'espace, du vert... l'été s'annonce bien ! ». Moralité ? Le couple en 2020 rêve d'espace… mais à deux. de la conscience amoureuse « qui va entraîner une autre manière de vivre en lien avec les autres. Il n'y aura plus d'attente du grand amour avec son lot de croyances, cet amour idéal qui viendrait combler les trous. » Dans ce retour à l'essentiel, il ne s'agit pas de cynisme mais de lucidité. Ce n'est plus tant la question d'avec qui ? - nous sommes tous des couples en puissance - mais de quand ? Ou, comme le dit mon pote Nathan : « avant, on cherchait à tout prix à aimer. Maintenant, on attend surtout les bonnes raisons de le faire ». Grande nouveauté : si le couple version 2020 est romantique, c'est parce qu'il est réaliste (et moins idéaliste).
Et ce romantisme plus pragmatique, comment se manifeste-t-il ? Gabrielle, 29 ans, estime que « c'est quelque chose qu'on lit, qu'on voit sur le grand écran, qu'on aperçoit dans la rue, un vieux couple qui dîne à une table de bistrot. Mais on cherche quelque chose de plus réaliste, plus concret, car on comprend que ce n'est pas durable sur le long terme. Surtout que le romantisme idéaliste ça gêne, personne n'en veut vraiment dans la vraie vie… Par contre, un cadeau qui dérive d'un sens de l'observation, une tablette de chocolat choisie avec soin, oui, ça c'est romantique ! ». Depuis que le romantisme fleur-bleu type rom-com n'est plus d'actualité, il serait peut-être temps de mettre à jour le slogan culte de mai 68 : « Soyez réalistes, demandez l'impossible ! »
De retour à notre tripot du Ve : à 2h du mat', chacune d'entre nous repart seule. Mais pas bredouille pour autant. En témoigne la bonne dose de regards évocateurs et de promesses échangées à défaut de numéros ; pas grave, ils savent où nous trouver... « On a discuté un peu. La prochaine fois on ira se balader. Et la fois d'après, il m'emmènera à la mer Adriatique ! », me confie une amie, gagnée par le charme ébouriffé du serveur. Vrai ou pas, le principal, c'est de l'avoir formulé. Et imaginé. À la manière d'un « peut-être » cédé au jeu du hasard. Alors si ce soir on s'est contentées de dialogues chargés de sousentendus, demain, on se laissera séduire par les lois (pas trop) sérieuses du magnétisme amoureux. Et si le plus beau couple de l'année était celui formé par l'union du réalisme et du romantisme ?
240 pages, 21,90 € (Odile