LE BOOM DES BABAS-LIGHT
Ces derniers temps, une toute nouvelle catégorie de néo-ruraux a fait son apparition : un pied dans le circuit court, l’autre dans son business effectuable en télétravail,
« On a trouvé un corps de ferme hyper sympa à rénover à une heure de Compiègne. » « Pour ton Plan de Départ Volontaire, ils financent une formation céramique ?» « Depuis que je suis végétarien, j’ai l’impression de mieux m’entendre avec mon chien. » Si les hippies utopistes des 70's ont conquis la Drôme avec leurs idées radicales, les années 2020 verront les babas-light débarquer dans les campagnes françaises avec leur conception d'un retour au vert bien CSP+. Autrefois chief-manager, ou équivalent, dans une grande boîte à Paris, le baba-light a eu la révélation que son job avait autant de sex-appeal qu'un tartare de fake-meat lors d'un dîner chez des amis qui sont dans le recycling. La quête de sens est sa nouvelle lubie, et il la met en pratique à la campagne avec tout ce que l'écologie moderne offre de solutions soft. Le baba-light, c'est un peu le gentleman farmer 2.0 version française, qui réconcilie la ville et la campagne avec des concepts de réussite rurale. Depuis que Nissan se penche sur un van ultra-équipé pour nomade numérique permettant de télétravailler tout en parcourant la France, le monde ne sera plus jamais le même. À l'heure où le FOMO – fear of missing out – s'est transformé en JOMO – joy of missing out –, s'exiler à la campagne est devenu cool. À l'instar des babas-cool de l'époque, les babas-light ont de grandes ambitions, mais ils sont très organisés et ont une bonne connexion internet. Les fermes de permaculture et autres éco-villages des hippies de la Drôme ont du soucis à se faire, les babas-light arrivent.
RÉGIONS START-UP
« Il y a deux ans, l’exode urbain était encore un sujet de niche, aujourd’hui c’est un sujet d’actualité », nous explique Claire DesmaresPoirrier, auteure de Exode urbain : Manifeste pour une ruralité positive (éditions Terre Vivante). « Il y a parfois le sentiment que quitter la ville c’est renoncer à la réussite, mais ce n’est pas vrai. Ceux qui faisaient ce choix dans les années 1970 étaient en rupture totale, anti-militaristes, ils refusaient la société de consommation. Dire aujourd ’ hui que notre système est à bout de souffle ce n’est pas radical, c’est un état de fait. Une grande partie des gens qui font de l’exode urbain n’en font pas pour autant un outil d’engagement ou un acte militant, c’est de la cohérence. » Depuis le début de la crise, des Français lassés par la morosité ambiante sont partis vivre à la campagne. Dominique Valentin l'a constaté, il a créé Vivrovert pendant le confinement ; une plateforme qui propose aux candidats à l'exode de trouver, en France, l'endroit le plus adapté à leurs envies. « On a déjà 5000 inscrits, et les demandes explosent depuis octobre. Les élus avec qui on travaille ont les yeux qui brillent, les régions font du marketing pour attirer de nouveaux habitants. On voit bien qu’il y a une ruralité moderne et conquérante qui se développe, qui est synonyme de qualité de vie. » On entend désormais parler de régions Start-up, mettant le paquet sur la com' pour attirer de nouveaux habitants. Ces collectivités se retrouvent même aujourd'hui en concurrence directe avec les îles Canaries ou l'île Maurice, qui font elles-aussi de la pub pour attirer ces télétravailleurs CSP+ semi-écolos et avides de ruralité.
ZÉRO DÉCHET ET IROBOT
Charlotte a la trentaine, cette excitadine et son copain ont franchi le cap tout récemment pour aller s'installer dans un château en tant que couple d'hôtes. « On a eu cette idée un peu folle de changer de vie, et on s’est dit qu’il y avait sûrement des gens très riches qui ont des châteaux et qui cherchent des gens pour s’en occuper. C’est comme ça qu’on a rencontré nos propriétaires et qu’on s’est installés. » Élise a elle aussi fait le choix du retour au vert après un confinement passé dans la campagne mâconnaise : « Quand on est rentré à Lyon, on a pété un câble au bout de 48 heures et on a décidé de repartir s’installer là-bas. Le projet était déjà dans les bacs, mais le confinement nous a fait passer le cap. On est en train de monter une association pour créer un jardin partagé et développer une économie locale en circuit court avec les producteurs locaux. On consomme bio, on fait les marchés, mais il y a du nutella à la maison. » Vivre à la campagne et favoriser une consommation responsable n'est donc plus antinomique avec quelques écarts assumés. L'exemple de Léa le montre bien, installée depuis plusieurs années dans l'Yonne, elle a quitté la psychologie pour devenir éducatrice canine. « Je suis en mode zéro déchet, j’essaye d’être la plus écolo possible mais sans pousser au max. Je fais du minimalisme, je jette, donne ou vends le plus possible. Enfin, j’ai quand même acheté le dernier Irobot – un aspirateur robot – (rires). » Malgré des efforts d'intégration, l'image des néo-ruraux fait souvent jaser les autochtones, pas forcément ravis de voir ces nouvelles têtes rappliquer dans leur bled. Léa connaît bien ce problème : « Quand j’ai débarqué ici avec mon sac Longchamps, mes petites chaussures et mes jeans slim, on me regardait un peu de travers. Il faut s’adapter. J’ai changé de voiture et j’ai renoncé à acheter une Mercedes par rapport à ça. » Conduire une merco et faire du zéro déchet n'est donc pas impossible.
LE BOBO-BÉAT
Si la campagne est belle, la vie quotidienne n'y est pas aussi rose qu'on pourrait le croire, comme l'explique Charlotte : « L’ hiver est compliqué, je m’étais acheté ma Barbour et mes bottes en me disant que tout irait bien. Mais quand il fait -10, qu’il fait nuit à 16 heures et que t’as vu personne depuis trois jours, c’est
un peu dur. C’est vachement moins bucolique qu’en été. » Dans son roman La campagne n’est pas un jardin, Stéphane Fière traite de cet aspect. Il a imaginé un conflit entre les ruraux et les néo-ruraux d'un village imaginaire, dans lequel il développe le concept de bobo-béat, qu'il explique ainsi : « Il y a une expression, les chino-béats, pour désigner des gens qui trouvent extraordinaire tout ce qui vient de Chine. Je l’ai appliqué aux néo-ruraux écolos pleins de bonnes intentions qui espèrent trouver une nature idéalisée à la campagne. Dans le Puy-de-Dôme, il y en a qui se sont plaint des abeilles qui déposent du pollen et déclenchent des allergies… On entendra encore parler de ce genre de trucs. » Au-delà des épiphénomènes comme celui-là, le retour à la campagne est aussi et surtout l'occasion de réorienter son parcours professionnel vers une activité ayant plus de sens. Tous les métiers ne sont d'ailleurs pas les bienvenus à la campagne, comme l'explique Claire Desmares-Poirrier, « les métiers sous-représentés à la campagne, c’est les “bullshit jobs”. Je ne suis pas sûre qu’on en ai vraiment besoin d’un " happiness manager”. »
COMMUNAUTÉ ET RITUELS
Pour ce qui est du bullshit, il n'y a pas que la ville qui tient son lot de pépites. Certaines dérives d'une écologie teintée d'un folklore new-age peuvent vite se transformer en vrais pièges idéologiques. L'une des qualités principales du baba-light, c'est justement qu'il sait les éviter. L'influenceuse Catia.cosmos fait partie de ceux-là. Elle a récemment acheté une maison proche de l'océan et partage son temps entre Paris et la campagne. « Le problème ce n’est pas les communautés mais les gens que ça attire. Ça part d’un bon sentiment que de vouloir lier le spirituel, la magie, la sorcellerie qui est très à la mode, les rituels, etc. Mais je me demande pourquoi ils font ça. Quelle est leur réelle motivation ? C’est souvent biaisé. On a des gens qui veulent faire passer leurs idées sans laisser de liberté aux autres. Les plus gros manipulateurs se retrouvent dans ces milieux-là. On se sert de cette sagesse pour la détourner et faire du mal aux plus sensibles. » Toute la force du babalight réside dans sa faculté à prendre ce qu'il y a de plus intéressant dans chaque mode de vie pour en faire un combo idéal. Julien Labrousse, propriétaire de théâtres parisiens et cofondateur du magazine Regain – le magazine sur la campagne pour les citadins – est parti s'installer avec sa famille au Portugal, où il a créé un concept de résidence mêlant culture, tourisme et agriculture. « Autour de moi, environ 10 % des personnes que je connais ont fait ce choix de quitter la ville. J’ai un copain qui est en mode new-age, il habitait à Berlin avant, et aujourd’hui il vit avec 60 euros par mois en totale autosuffisance. C’est des modes de vie durs, c’est un peu austère, un peu extrême. J’en connais un autre qui était chef étoilé au Luxembourg, il a planté son restaurant pour s’installer au Portugal, il a construit sa maison en terre crue, il a déscolarisé ses enfants, ils n’ont pas internet. Je ne suis pas sûr que ce soit le bon modèle. Il faut une écologie censée, consommer intelligemment tout en gardant son confort. C’est même pas quelque chose d’innovant. » Julien Labrousse et les autres babas-light participent tous à la création de nouveaux modes de vie à la campagne qui en inspireront sûrement d'autres. Qui sait, peutêtre que Technikart ira s'installer prochainement dans le Perche...
« J’ESSAYE D’ÊTRE LA PLUS ÉCOLO POSSIBLE, MAIS SANS POUSSER AU MAX. » – LÉA