LA MORT VUE DU CIEL
Depuis leurs hélicos de combat, des pilotes armés de caméras thermiques filment et tuent. Un doc hypnotique qui interroge notre regard.
IL N’Y AURA PLUS DE NUIT ELEONORE WEBER (EN SALLES LE 17 FEVRIER)
Une image avec un noir et blanc d’outre-tombe, une plongée sur des silhouettes, la nuit, dans un désert du
Moyen-Orient. Grâce à la technologie sophistiquée de caméras thermiques, la nuit devient jour. Mais qui sont les silhouettes qui courent ? Des bergers ou des moudjahidines ? Avec un bâton ou une kalachnikov ? Au centre de l’image, une visée, pour mieux isoler la cible à abattre, et des données géographiques, des datas en haut et en bas du cadre. Nous sommes dans un hélicoptère de combat, à plusieurs centaines de mètres, voire plusieurs kilomètres, du théâtre des opérations. Dans l’hélico, l’oeil insatiable des pilotes scrute l’infini. Sans aucun son. Les hommes qui sont visés ignorent bien sûr qu’ils le sont, ils n’ont pas repéré la menace venue du ciel. Semblable à l’oeil de Dieu, la caméra voit tout et celui qui filme est également celui qui tue. Un oeil-machine. Et bientôt, après la confirmation d’un supérieur, le pilote va ouvrir le feu et réduire en poussières ces formes qui luisent dans l’obscurité. « Good Kill ! »
SEARCH AND DESTROY
Il n’y aura plus de nuit (verset 22 de L’Apocalypse : « Il n’y aura plus de nuit ; et ils n’auront besoin ni de lampe ni de lumière, parce que le Seigneur Dieu les éclairera. Et ils régneront aux siècles des siècles ») est un drôle d’objet. Constitué d’archives militaires trouvées sur le net, c’est d’abord un constat effrayant sur la guerre au XXIe siècle. Comme dans un jeu vidéo, le pilote fait exploser des pixels, avec probablement un joystick. Plus de chair, plus de sang, plus de cris, juste un écran et une caméra. C’est le règne de la toute puissance technologique, à l’image d’un film de science-fiction orwellien, avec des pilotes qui « effacent », « neutralisent ».
Encore plus fort, Il n’y aura plus de nuit se métamorphose bientôt en objet poétique, hypnotique, d’une inquiétante beauté. Bercé par la voix douce de Nathalie Ricard, le spectateur est happé, englouti par la toute puissance de ces images muettes, l’insoutenable légèreté des êtresspectres qui tentent de se camoufler dans l’obscurité, les gerbes lumineuses lors des explosions. On est devant un rêve éveillé, un territoire vierge, une toile de Dali, un rêve noir et sans fin, au milieu de milliers d’étoiles qui zèbrent la nuit. On se perd, sans repères, on dérive… Bizarrement, le spectacle de la mise à mort fascine, provoque un sentiment de sidération. Car la mort est escamotée : c’est un trou béant dans le sol, un corps blessé qui scintille, un nuage de poussières… Et la réalisatrice Eléonore Weber entame alors une réflexion sur la question de ce qu’est voir, notre désir de voir, de tout voir, la pulsion scopique du pilote, premier à découvrir ces images, et du spectateur. Des voyeurs toujours insatisfaits. Le regard du pilote qui ne sert qu’à viser. Et le notre qui ne fait que contempler – en jouissant - sa propre déshumanisation.