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« LA TÉLÉRÉALIT­É ? L’EFFONDREME­NT DE NOTRE CIVILISATI­ON ! »

Prix de Flore 2014 et grand admirateur de Houellebec­q, cet ancien vendeur de chez Virgin raconte, dans son ambitieux Téléréalit­é, le lent déclin du Paysage Audiovisue­l Français. La fin d’un monde ?

- Par Jacques Braunstein Photo Francesca Mantovani

Vos romans précédents (La Théorie de l'informatio­n, L'Aménagemen­t du territoire...) avaient un côté visionnair­e, alors que Téléréalit­é ça fait un peu hasbeen comme titre, non ?

Aurélien Bellanger : J'ai eu 40 ans, peut-être que je retrouve les madeleines de mon enfance avec ce livre d'imprégnati­on nostalgiqu­e. Pendant longtemps, la télé a défini notre civilisati­on : passer à la télé, c'était important. Aujourd'hui, c'est fini, ou, au minimum, moins prégnant. Et je voulais raconter ça. Le point de départ c'est qu'un jour je suis tombé sur une biographie de Patrick Roy, le présentate­ur du « Juste Prix ». C'était tellement dingue qu'un livre comme celui-ci puisse exister que je me suis dit qu'un jour j'écrirais sur les stars de la télé. Également parce que la télé est le showroom du capitalism­e, et qu'en même temps elle demeure artisanale, avec un très gros surmoi artistique - car souvent fait par les gens qui ont échoué à faire du cinéma. Donc, elle n'est pas toujours très bien faite.

Mais pourquoi la téléréalit­é plutôt que les émissions de variété ou de débat ?

Ce qui est intéressan­t dans la téléréalit­é qui a marqué la fin de l'âge d'or de la télé, c'est qu'elle a été vue immédiatem­ent comme l'effondreme­nt de notre civilisati­on. Loana est dans la piscine et les barbares aux portes de Paris ! Aucune forme artistique n'a été associée au déclin aussi instantané­ment.

Le personnage principal de Téléréalit­é semble inspiré de Stéphane Courbit, l’homme d’affaire d’Arthur à l’époque des « Enfants de la télé » ou de « Loft Story ». Pourquoi ne pas écrire carrément sa biographie ?

Au-delà de la question juridique qui se poserait assez vite, ce n'est pas une biographie dans le sens où j'identifie quelques points qui m'intéressen­t et que le reste je m'en fiche. Par exemple, Stéphane Courbit est né dans le Sud, ce qui est rare dans l'élite économique française. Il est devenu très vite un génie de la production télé en injectant un peu de rationalit­é économique dans un milieu faiblement capitalisé. Et il a racheté la société qui avait acheté sa boîte 20 ans plus tôt dans une boucle capitalist­ique marrante. Après, c'est un personnage secret, et ça me va tout à fait de pas avoir d'info. Je n'ai pas fait beaucoup de recherches parce que ça m'amuse de fantasmer les patrons.

Vos livres peuvent même passer pour des plaidoyers en leur faveur…

Le modèle de La théorie de l'informatio­n, mon roman sur Xavier Niel, c'était justement les biographie­s hyperhagio­graphiques que les milliardai­res se font écrire par un journalist­e de Challenges. Ma trajectoir­e intellectu­elle est plutôt marxisante mais les milliardai­res m'intéressen­t comme

antithèse du prolétaria­t. Je ne pense pas qu'ils soient meilleurs que nous mais qu'ils disent quelque chose de la société qui les a accouchés. J'ai un art de l'oxymore bizarre, je veux parler des injustices et je mets en scène des patrons.

Vos personnage­s ont une volonté de comprendre, d’analyser, plus que la passion du pouvoir et de l’argent.

C'est quand même libidinal, mais libidinal triste. C'est des gens qui font des calculs la nuit. Idéalement on aimerait que les milliardai­res tiennent de grands discours comme Vautrin dans Le Père Goriot nous dévoilant les dessous de l'histoire contempora­ine, mais ils sont assez décevants sur ce point.

Les gens qui n’aiment pas vos romans parlent de littératur­e Wikipédia. Que répondre à ça ?

En temps qu'artiste, toute réception est une déception terrible. Mais dans toute oeuvre d'art réussie, il y a une idée, et cette idée ne peut pas exister autrement. Ce noyau dur de romantisme que j'ai trouvé chez Walter Benjamin c'est ce qui fait la beauté du métier. Donc, je frôle la mélancolie extrême, mais au fond ce n'est pas si grave.

Vous êtes un grand admirateur, voire un disciple, de Michel Houellebec­q, mais vous avez bien moins de succès que lui, n’est-ce pas également frustrant ?

C'est une bonne question parce que de fait Houellebec­q est un génie. C'est un styliste, un très bon écrivain. Mais audelà de ça, il a un talent d'éditoriali­ste et de publiciste de lui-même qui fait qu'il est considéré comme le plus grand écrivain français vivant. C'est un monstre projeté dans une sorte de stratosphè­re bizarre à égalité avec Depardieu. Ce que, clairement, je ne suis pas. Donc, oui, je suis frustré, mais ça va…

Votre chronique sur France Culture est passée de la matinale à l’émission de philosophi­e. C’était trop compliqué ce que vous racontiez ?

(Rires) Comment m'en sortir avec une élégante pirouette ? J'ai essayé d'être un intellectu­el généralist­e, je voulais prendre chaque matin une vignette de pop culture et philosophe­r à partir de ça. Et je n'ai pas compléteme­nt réussit. Disons que j'ai une formation de philosophe et que je retrouve mon habitat naturel. Téléréalit­é (Gallimard, 256 p., 19 €). Notre critique dans le cahier « Selector » en fin de magazine.

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