Toutes les Nouvelles (Rambouillet / Chevreuse)

Le grand chamboulem­ent

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Je reviens toujours à cette photo du début de la montée des eaux à Groussay. L’une des premières que j’ai prises. Ce n’est pas un déluge, mais une montée progressiv­e, inexorable, invraisemb­lable des eaux. Ce mardi 31 mai en début d’après-midi, je m’arrête tout de même pour prendre cette photo, pour fixer cet instant. Mais je me dis que je reviendrai plus tard. Sauf que quelques heures après ce n’était plus tout possible. La route que j’avais empruntée était sous les eaux comme tout le quartier de Groussay. Mais personne ne le savait à cet instant. Je sortais de la réunion de crise aux services techniques où tout le monde était sur le qui-vive.

À la rédaction, on est aussi en alerte. On commence à publier sur notre site 78actu.fr Le soir, épuisé, je découvre ahuri sur facebook de nouvelles images : les barques du château réquisitio­nnées pour aller secourir les riverains de la rue de La Motte. Tout s’accélère, on parle de sinis-

C’était un matin comme souvent à la rédaction. Des articles à écrire, des personnes à rencontrer, des sujets à proposer, des absents à remplacer, des personnes qui entrent dans l’agence à accueillir, bref, un peu la course. Mon téléphone sonne, je réponds. Une dame m’explique que ses parents, nonagénair­es, vont fêter leurs 74 ans de mariage. Même si le chiffre est, il faut l’avouer impression­nant, je lui demande ce que je peux faire pour elle. Une cérémonie aura-t-elle lieu dans le week-end ? Faut-il que je demande à un correspond­ant de couvrir le rendez-vous ? Elle me répond que non, rien de tout ça. C’est juste que 74 ans, même si ce n’est pas un chiffre rond, c’est peu courant et elle voudrait un article dans le journal. Il faudrait que je vienne les voir à leur domicile, dans le village de Sonchamp, juste à côté de Rambouille­t. Pas vraiment juste à côté, car j’en avais pour 20 mn de route porte à porte. Même si cela ne m’arrangeait pas vu mon emploi du temps, rendez-vous est pris quelques jours plus tard, fin octobre.

À peine arrivée devant la porte, elle s’ouvre et la dame qui m’avait contactée, Martine, m’invite à rentrer. Là je ren- trés. Le ministre de l’intérieur débarque le lendemain. Je travaille tous les jours non-stop. Le souci de suivre ce grand chamboulem­ent qui change la face de Rambouille­t, me maintient d’attaque. Je garde encore une image en mémoire : une famille de sinis- contre Denis et Suzanne Bléchet, respective­ment 95 et 91 ans. Ils sont debout, bon pied bon oeil, et se chamaillen­t gentiment sur l’endroit où l’on va pouvoir s’installer pour discuter. Denis voudrait l’ancienne salle de sa boutique, car avec sa femme, ils ont été les charcutier­s du village de 1946 à 2000. Son épouse préférerai­t le salon et ce que femme veut… . Tout de suite, ils me sont apparus comme des gens charmants et attachants, me rappelant mes grands-parents.

Le rendez-vous auquel je ne pensais pas rester très longtemps trés qui berce un enfant au gymnase. Je retiens aussi cette phrase : « Heureuseme­nt, il n’y a pas eu de victime » , après que les hommes grenouille­s aient inspecté les parkings souterrain­s. Quelques mois après, nos lecteurs s’interrogen­t encore a duré un peu plus d’une heure. Assis autour de la table de la salle à manger, le malicieux Denis et sa femme Suzanne m’ont raconté leurs souvenirs. Si tant est que l’on peut synthétise­r une vie en si peu de temps. Presque un siècle d’existence, ça ne peut pas se résumer en une heure de dialogue. Je les ai écoutés avec grand intérêt, ça me faisait plaisir d’être là.

Je suis remontée dans leurs souvenirs avec eux, certains heureux, d’autres emprunts d’émotion: leur rencontre et leur mariage en pleine guerre mondiale, les dangers qu’ils encoururen­t sur le pourquoi de cette inondation. Il y a quelques semaines, j’ai fait une sortie en forêt avec un riverain pour constater l’état des canalisati­ons forestière­s. à cette période, la naissance de leurs enfants, le drame de leur vie lorsqu’ils ont perdu Guy, leur fils aîné, leur vie profession­nelle dans laquelle ils se sont investis corps et âme avec beaucoup de passion, leurs petits plaisirs, leurs loisirs, leurs vies de grands-parents et arrière-grands-parents, leurs maladies… . C’est presque avec regrets que je les ai quittés. Juste avant de partir, dans sa grande gentilless­e, Denis m’a promis de me préparer l’une de ses spécialité­s, le fromage de tête. Il n’a pas manqué à sa parole puisque sa fille Martine est venue me l’apporter à Rambouille­t.

Ce sujet supplément­aire, qui au premier abord ne m’arrangeait pas, a été pour moi une belle rencontre que je me remémore encore aujourd’hui avec tendresse. Au final, j’ai écrit une page entière sur la vie de Denis et Suzanne Bléchet. En espérant que cela aura servi pour la mémoire de la famille, celle du village de Sonchamp et pour tout le territoire. Ce qui est sûr, c’est que l’article a plu à ce gentil papi qui n’a pas hésité à prendre son téléphone pour me remercier et ça fait chaud au coeur.

Décès de Marina, 15 ans

S’il ne devait rester qu’un article, un seul, ce serait celuilà. Le texte écrit juste après les obsèques de Marina. Nous sommes devant l’église ensoleillé­e, au milieu des proches et de lycéens de Bascan, une rose blanche à la main. Je suis un peu gêné comme ma collègue, mais on se dit qu’il faut y aller. Ce n’est pas seulement notre métier de raconter ces drames qui hanteront durablemen­t Rambouille­t et ses environs. Non, notre journal est là pour rendre hommage, faire que personne n’oublie la disparitio­n d’une jeune lycéenne de 15 ans, Marina. La tragédie qui bouleverse le quotidien, si quotidien. Le début des cours, l’arrivée des cars et des trains, les jeunes qui traversent comme des milliers

Christiane et Claude Le Febvre.

En 2004, j’ai soutenu à l’université de Bordeaux un mémoire de maîtrise d’histoire sur les Français Libres, ces hommes qui ont refusé la défaite de 1940 et ont rejoint un certain général De Gaulle. Sur la dizaine de ces résistants habitant en Dordogne que j’ai pu rencontrer, pas un seul ne se considérai­t comme un héros. Cet engagement au sein de la résistance – que certains ont payé de leur vie - ils l’estimaient naturel, allant de soi. Aujourd’hui, avec quelques mois de recul, j’imagine que Christiane et Claude ne se sont jamais non plus considérés comme des héros. Au point que c’est totalement par hasard que Marie Le Febvre a découvert, longtemps après la mort de son grand-père, que celui-ci et sa mère avaient caché des pilotes alliés pendant la Seconde Guerre mondiale à Rambouille­t (voir notre édition du 24 février 2016). La jeune femme, installée à Berlin, a écrit un livre sur cette histoire, pour son fils et toute sa famille. Une oeuvre de mémoire pour ne pas oublier ces hommes et ces femmes qui ont agi avec courage et sans prétention aucune.

Après la parution de l’article, plusieurs personnes passèrent me voir à l’agence. Pour discuter de cette incroyable histoire. Et parfois pour laisser entendre qu’à l’époque, oui, on se doutait qu’il se passait quelque chose dans cette maison, mais « je ne vous ai rien dit » . En 2016, cette page de notre histoire est encore loin d’être complèteme­nt écrite. Et aujourd’hui, il me reste encore plein de questions sans réponse : qui a pris la photo de la famille avec des pilotes alliés réfugiés ? Y avait-il d’autres caches en ville ? À bon entendeur…

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