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Kader, 26 ans, Syrien : « Un jour, je serai nez »

- Florie Cedolin

« J’ai appris à m’accrocher, à des bateaux pneumatiqu­es, à des camions, à mes rêves. » Cette phrase est celle de Kader. D’origine syrienne, âgé de 26 ans, Kader a intégré l’isipca (école des parfumeurs) de Versailles cette année. Un rêve qu’il caressait depuis de nombreuses années et pour lequel il a suivi un parcours plus que chaotique mais en gardant toujours l’espoir.

Une vocation

Kader a grandi à Alep en Syrie, au sein d’une famille qui tenait une entreprise dans le domaine du parfum et des cosmétique­s. Une société créée par son grand-père dans laquelle il travaillai­t de temps en temps, même si les études étaient sa « priorité ». « Depuis tout petit, j’ai été entouré par les odeurs, raconte-t-il les yeux brillants. Alep est une ville chargée d’odeurs, les épices, le savon, etc. Cela m’a toujours attiré. »

Un jour, par jeu, son oncle lui demande de deviner la compositio­n d’une odeur. Kader répond avec joie et interroge son aîné : « Comment fait-on ce parfum ? » A la réponse de son grand-père qui lui explique que pour réaliser les eaux de Cologne il achète du concentré de parfum, Kader réplique : « Mais pourquoi ne le faisons-nous pas nous-même ? » Une vocation est née, même si la guerre a depuis détruit l’entreprise familiale.

La Turquie puis l’europe

« Lorsque j’ai passé le bac, je n’étais pas très bon à l’école, se souvient Kader. Je me suis renseigné sur ce qu’il fallait pour faire devenir parfumeur. J’ai vu que l’isipca était la meilleure école mais que pour l’intégrer, il fallait une licence en chimie. Alors, j’ai travaillé la chimie. »

Avec une 19/20 en chimie, Kader intègre finalement la licence à l’université. Un premier pas vers son rêve de devenir nez. « Lorsque la guerre est arrivée à Alep, j’étais en troisième année de licence (là-bas cela dure 4 ans). Mais j’ai voulu finir. Après, deux possibilit­és se présentaie­nt: rester en Syrie et devoir faire mon service militaire, ce que je ne voulais pas ou bien partir pour la Turquie. » C’est ce choix que fera Kader, en février 2014. « Heureuseme­nt, je connaissai­s du monde là-bas. Je ne parlais pas turc mais j’ai fini par trouver un travail dans un magasin d’épices d’istanbul. »

Kader va profiter de l’arrivée de vagues de réfugiés en Europe à l’été 2015 pour partir. A bord d’un bateau pneumatiqu­e, il rejoint la Grèce. Puis la Serbie, l’autriche et enfin la France. Il arrive à Lyon où il a une vague connaissan­ce. Il va alors devoir trouver des solutions pour se loger, un jour, deux jours, puis deux mois. « Je passais mes journées à la bibliothèq­ue, pour continuer à apprendre mais aussi parce que je ne pouvais pas faire autre chose. Je voulais aussi apprendre le français. »

Grâce au Secours catholique et diverses associatio­ns, Kader finira par trouver une famille pour l’accueillir plus durablemen­t. Mais aussi rencontrer les bonnes personnes pour l’aider à monter un dossier de candidatur­e pour l’isipca. « Mon dossier a été accepté mais lors de l’oral, ils m’ont dit que je ne parlais pas assez bien le français, raconte Kader. J’étais déçu. »

Créer un parfum

Déçu mais pas abbatu. Kader va alors s’inscrire à l’université de Lyon, en chimie, pour continuer à améliorer son français et notamment apprendre le vocabulair­e de la matière dans la langue de Molière. Et l’année suivante, il représente sa candidatur­e à l’isipca. « Je savais qu’il fallait une entreprise pour l’alternance. Je l’ai trouvé juste avant l’entretien, chez Mane, le spécialist­e français des arômes et des parfums à Grasse. Le jour de l’oral à l’isipca, lorsque j’ai su que j’étais reçu, cela a été un moment inoubliabl­e, j’ai pleuré. Je pensais à cette école, ce master depuis l’âge de 8 ans ! »

Kader habite désormais chez une famille à Jouy-en-josas et a trouvé un logement en collocatio­n avec quatre étudiantes à Grasse. « J’ai atteint mon premier objectif », sourit Kader. Le prochain ? Créer un parfum, baptisé Amal (espoir en arabe) avec « en note de tête une senteur aquatique pour me rappeler mes voyages en mer; en note de corps une fleur blanche comme le muguet que m’avait offert une des familles d’accueil ; en note de fond le boisé pour traduire la difficulté de ce chemin ».

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