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VERSAILLES. « La justice est exsangue »

- F. Desserre

Des avocats, des juges, des greffiers, des substituts du procureur réunis. Tout ce petit monde est habitué à se côtoyer lors des procès. Mais sur les marches du tribunal de grande instance de Versailles, pas de box pour le prévenu. Et pourtant, il y avait bien un, pointé du doigt : l’état.

Sans que cela ne soit historique, la manifestat­ion a réuni l’ensemble des acteurs et syndicats de la justice face aux nouveaux chantiers lancés par la Chanceller­ie, en octobre dernier. Ils visent la simplifica­tion des procédures pénales et civiles et l’améliorati­on de la qualité, la lisibilité de la justice et l’efficacité des peines. Pour les manifestan­ts, « tout cela est très beau sur le papier, mais la réalité est bien différente. »

Des réformes, ils en ont connu treize à la douzaine. Sauf que celle-ci ne passe pas. Non pas que les idées qui y sont développée­s soient très bonnes ou très mauvaises. « Le vrai problème est que cela ne va faire qu’effleurer les choses, s’inscrire dans le court terme alors que c’est en profondeur qu’il faut agir », soutient un magistrat.

Pas assez de… tout

Venue de la cour d’appel avec sa robe rouge, Sylvie Borrel dresse un tableau peu idyllique de la situation à Versailles. Elle est magistrate, déléguée régionale du syndicat de la magistratu­re. « La justice est exsangue. Sur le ressort de Versailles, on compte plus de 10 000 dossiers en stock dans les chambres sociales. Cela représente la moitié des contentieu­x et mobilise la moitié des magistrats. Et il ne faut pas compter sur un jugement avant deux ans. Nous aurions au moins besoin de 12 magistrats ! »

À ses côtés, les représenta­nts des différents syndicats listent sans forcer la mémoire, les difficulté­s du quotidien. Cela commence par le filet qui retient depuis des années les débris de la façade du tribunal de la place André-mignot. Ils déroulent la pelote : trois juges d’applicatio­n des peines quand il en faudrait sept. Du coup, seuls 40 % des détenus peuvent préparer et aménager leur sortie. « Pour les 60 % restants, cela veut dire qu’ils seront face à un risque de récidive de 80 % », s’inquiète Pascale Loué Willaume, de l’union syndicale des magistrats (USM).

« La justice est malade et le malade souffre »

Et la liste s’allonge : cinq magistrats en moins au parquet, le logiciel Minos du tribunal de police qu’il faut relancer jusqu’à six fois pour enregistre­r une procédure. L’obsolescen­ce des ordinateur­s qui ne permet même pas de se rendre sur le site Internet du ministère. « On a reçu une carte de voeux dématérial­isée. Nos engins sont de tels dinosaures, qu’ils ont directemen­t plantés à l’ouverture. Redémarrag­e obligatoir­e », soutient Michel Besseau, de la CFDT. À cela on pourrait ajouter les heures tardives des audiences, dépassant le cadre légal. Et continuer pendant des pages et des pages.

« La justice est malade et le malade souffre, conviennen­t-ils tous. Avant de réformer n’importe comment, terminons ce qui a été engagé. On parle de dématérial­isation mais 15 % de la population n’a pas accès à Internet. Écoutons ce qui vient du terrain, ce que nous avons à dire. Il faut nous donner des outils pour être efficaces, du personnel, des magistrats, des greffiers, un véritable budget. En France, on compte 64 euros par habitant. C’est un plein d’essence, c’est le niveau de l’albanie qui rentre tout juste dans l’europe. À force de tirer sur la corde, elle va craquer. Et là, on ne pourra plus répondre de rien. »

D’ores et déjà, les représenta­nts de toutes les profession­s de la justice se disent prêts à passer un cran au-dessus dans la contestati­on.

Les personnels de la justice ont manifesté ce jeudi 15 février sur les marches du palais de justice de Versailles. Face à l’engagement d’une énième réforme, ils dénoncent un système à bout de souffle, exsangue.

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