Transport Info

Entretien : François Combes, chercheur à l’Ifsttar

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALÉRIE CHRZAVZEZ

Dans son étude sur le véhicule autonome*, le chercheur François Combes démontre qu’en changeant de paradigme, il est possible de baisser de façon considérab­le le coût du transport mais en allant à l’encontre des enjeux environnem­entaux. Transport Info : Pourquoi avoir travaillé sur les camions autonomes ? François Combes :

Cela s’est fait à la suite d’un appel à projets lancé en 2017 par le ministère des Transports. J’avais proposé de travailler sur les effets économique­s du poids lourd autonome et mon dossier a été retenu et financé. J’ai donc cherché à comprendre ce que ces véhicules pourraient apporter en termes de baisse de coût du transport, mais aussi à mesurer son impact sur les chaînes logistique­s et l’emploi.

TI : Qu’entendez-vous par camion autonome ? FC :

A l’époque, quand on évoquait le camion autonome, on se représenta­it un véhicule classique qui circulerai­t sans avoir besoin de conducteur, mais il y a plusieurs études possibles. J’ai étudié un scénario dans lequel on faisait circuler des camions semi-autonomes, toujours avec un chauffeur. Dans ce cas de figure, on génère des économies, mais pas pour tout le monde, car le gain lié à l’autonomie peut être

absorbé par la hausse du prix du véhicule. Il est ainsi probable qu’une partie des chargeurs continuera à recourir à des véhicules classiques, plutôt que de se tourner vers ces camions dont l’intérêt financier resterait limité. Là où cela devient économique­ment intéressan­t, c’est lorsqu’on vise l’autonomie totale. Pour moi, le camion autonome n’a véritablem­ent de sens que lorsqu’on atteint le niveau 5 en se passant de conducteur et donc de cabine. Il y a trois postes de coût quand on exploite un poids lourd : le prix, le conducteur et le carburant. Tant qu’il y a un chauffeur à bord, il faut le rémunérer sans pouvoir réaliser d’économies manifestes. Dès lors qu’on le supprime, on gagne sur ce poste, mais on peut aussi réduire le prix d’achat du véhicule en se passant de la cabine, ce qui de surcroît permettrai­t de gagner en charge utile. Là, il s’agit d’une innovation disruptive, un peu comme celle qui nous a fait passer de la calèche à l’automobile. Ce camion futuriste, qui

opère de façon autonome complète et que l’on peut charger davantage, pourrait réduire les coûts logistique­s jusqu’à 50%.

TI : Ce qui n’est pas forcément une bonne chose ? FC :

Absolument. Avec un véhicule entièremen­t automatiqu­e, le prix du transport baisse sensibleme­nt. Ce qui pourrait conduire les chargeurs à revoir leurs plans de transports, de manière à limiter leurs stocks, en effectuant des envois plus petits, plus nombreux et plus

fréquents. Le risque serait alors que ce qui était une excellente nouvelle économique, n’aboutisse à multiplier les transports avec des véhicules ayant un moins bon taux de remplissag­e. Pour cette raison, la généralisa­tion du camion autonome aurait un impact négatif sur le plan social, en raison de la suppressio­n des emplois de conducteur­s, mais aussi une incidence environnem­entale.

TI : C’est pour cette raison que les camions autonomes ne sont plus à la mode aujourd’hui ? FC :

A l’Ifsttar, nous travaillon­s sur une étude sur le platooning, financée en partie par l’Europe. Mais il me semble effectivem­ent que les véhicules autonomes sont un peu moins au coeur de l’actualité médiatique qu’ils ne l’ont été voici quelques années. L’automatisa­tion reste tout de même un sujet sur lequel on travaille, notamment en logistique urbaine. Des expérience­s d’automatisa­tion sont menées dans ce secteur avec l’utilisatio­n de robots ou de drones pour effectuer des livraisons en ville. Mais un robot qui se déplacerai­t à 15 km/h et qui ne pourrait transporte­r que deux colis par tournée n’aurait vraiment pas la même productivi­té qu’un VUL convention­nel qui en livre une centaine. Cela me laisse un peu circonspec­t, à ce stade, sur l’intérêt économique de ce genre d’expérience­s.

«UNE INNOVATION DISRUPTIVE COMME CELLE QUI NOUS A FAIT PASSER DE LA CALÈCHE » À L’AUTOMOBILE.

* « Le véhicule autonome va-t-il transforme­r en profondeur le transport de marchandis­es ? ». Rapport de recherche, El Mehdi Aboulkacem & François Combes, IFSTTAR, 21 mai 2019.

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