Les Galions de La route
Il y a des camions peints dans de nombreux pays du monde : en Inde, aux Philippines, en Indonésie, en Haïti, en Amérique du Sud, en Amérique Centrale. Mais c’est au Pakistan qu’ils sont, indéniablement, les plus beaux.
Quiconque s’est rendu au Pakistan a été frappé par la majesté et la splendeur des camions qui circulent sur les routes. Tous, excepté les véhicules des compagnies internationales, sont bariolés, harnachés de ferraille et d’ornements de plastique, rehaussés de boiseries sculptées, décorés de scènes religieuses et profanes. Tous portent le nom de leur propriétaire, voire son portrait, et des guirlandes de sentences magiques pour éloigner le mauvais oeil ou de vers romantiques de la poésie et de la chanson populaires.
Dans un pays montagneux et immense où les transports ferroviaires sont limités et aléatoires, ils sont presque les seuls moyens de locomotion et sillonnent les routes les plus périlleuses, surchargés de marchandises de toutes sortes.
Carole Villiers est partie à travers tout le pays à la rencontre de ces artistes hors du commun qui transforment leur véhicule en oeuvre unique. En vedettes, le Bedford Rocket anglais des années 1950, mais aussi les Nissan et les Hino japonais, pour la plupart acquis d’occasion et tous rafistolés. Chauffeurs, mécaniciens, peintres décorateurs, ferrailleurs, ébénistes, selliers, miroitiers unissent leur imagination et leur savoir-faire pour habiller ces mastodontes des routes. Depuis la fin des années 1990
et la création d’expositions internationales rendant hommage aux camions pakistanais à Copenhague et à Tokyo, le « Truck Art » est devenu un emblème du pays, infiniment décliné, qui s’exporte en dehors de ses frontières.
L’histoire des camions, c’est d’abord une histoire d’hommes, voire de femmes, car le camion est considéré par son propriétaire et son conducteur comme une compagne, une épouse qu’il faut satisfaire en lui faisant de nombreux présents sonores et clinquants. Chaque camion porte d’ailleurs un nom : « Princesse de Beauté » ou « Impératrice d’Égypte » par exemple. Il est le miroir de la vie sociale, politique, religieuse, et son programme décoratif est un programme identitaire.