CHRONIQUE DE KATMANDOU

PAR JÉRÔME ÉDOU OEILLETS D’INDE - Qu’est-ce que tu fais ce week-end ? - Je fais la queue… À la pompe à essence ou chez le distributeur de gaz, la queue est devenue ces dernières semaines le passe-temps incontournable des Népalais depuis que la circulation avec l’Inde est totalement bloquée, en réaction à la promulgation de la Constitution. Car le Népal est devenu, le 21septembre dernier, un état fédéral ; mais les habitants du sud, d’origine de langue et de culture plus indienne que népalaise, n’ont pas eu l’État qu’ils souhaitaient et s’en sont plaints à Big Brother. Ils ont donc décidé – avec l’appui du puissant voisin indien – de fermer purement et simplement les frontières aux transports de marchandises. Pas facile quand on sait que 90 % des produits d’importation transitent par l’Inde, notamment le ciment et le fer à béton pour le bâtiment… Mais aujourd’hui pour les Népalais de la rue, le ciment pour reconstruire maisons et écoles en ruine n’est pas encore une préoccupation, car l’Autorité de la Reconstruction qui doit en définir les règles n’est toujours pas en place, sept mois après le séisme… Donc le choix pour ces prochains jours dans la capitale népalaise est simple. On peut soit passer trois jours (véridique !) dans la queue de motos ou de voitures qui serpentent sur des kilomètres dans les rues de Katmandou pour récupérer cinq litres d’essence ou une demi-bouteille de gaz. Ou bien on choisit d’oublier son véhicule pour se concentrer sur le festival des Lumières qui vénère chaque jour de la semaine un animal, en attendant la fête de Lakshmi, la déesse des richesses et de l’abondance. Donc lundi c’est le jour des corbeaux, ambassadeurs du dieu de la mort. Mardi, celui des chiens, vous savez, ceux qui hurlent toutes les nuits. Pas facile, même pour un jour, de pardonner à tous les dingos du quartier une année sans sommeil ! Puis suivront le jour des vaches qui ruminent de sombres pensées au milieu des carrefours désertés (voir plus haut) et celui de Tika, la bénédiction entre frères et soeurs, si lui n’est pas dans la queue pour l’essence et elle, dans celle du gaz. La semaine s’achèvera en apothéose par la grande fête de Lakshmi, qui se célèbre dans une débauche de vermillon, de bougies, de pétards et de fleurs. Si le vermillon, les bougies, les pétards et les oeillets (d’Inde, of course) parviennent à traverser la frontière, cela s’entend.