L’ALGORITHME DU PARTAGE
Je lisais récemment sur Facebook une « confidence » de mon confrère Guy-Michel Cogné, qui officie pour le vénérable Chasseur d’images, que tout photographe et/ou voyageur a forcément eu un jour entre les mains. « Je suis un peu énervé par ces photographes qui voudraient vendre aux journaux les images qu’ils ont dévaluées en les diffusant gratuitement sur le Web. Comment vendre d’une main ce que l'on donne de l’autre ? » expliquait-il. Tous les titres de presse sont confrontés à une remise en question de leur modèle économique. Comment survivre à la culture du gratuit, et qu’est ce qui détermine ou justifie, aujourd’hui, fondamentalement, l’acte d’achat, la vie, la survie d’un magazine ? Personnellement, je me félicite chaque jour de voir les uns et les autres s’exprimer, et diffuser au public les images, récits, et d’une manière générale les « informations », qu’ils jugent utile de partager. Plus qu’une culture du gratuit, j’y vois une très estimable aspiration au « partage ». Elle n’est qu’une variation de ce que nous faisons nous-mêmes, avec conviction et engagement, via nos magazines, depuis toujours. Doit-on se couper de ceux qui diffusent ainsi leurs oeuvres, sous prétexte de gratuité, de non-exclusivité, de non-professionnalisme ? Je ne le pense pas. À nous, au contraire, d’ouvrir la porte à ceux qui s’illustrent par leur pertinence, et de célébrer leur regard, leur talent. Ne pas le faire, c’est se couper de ce bouillonnement créatif, de cet incroyable savoir collectif. C’est se murer dans une tour d’ivoire, qui ne deviendra que notre tombeau. Je crois au partage, aux concepts communautaires qui nous viennent de la culture Web, aux licences Creative Commons qui sont à la base même d’un site tel que Wikipedia. Nous ne sommes propriétaires de rien, si ce n’est de notre regard et de notre volonté de transmettre ce qui nous semble juste. Notre rôle de média – qui partage une racine latine avec « intermédiaire » – consiste à dénicher et mettre en valeur une information, une expertise, une manière de voir, en les rendant audibles, compréhensibles, en leur offrant une nécessaire perspective. Là est notre valeur ajoutée. C’est notre unique algorithme. Il est humain. Récemment, nous avons sollicité nos lecteurs – ces lecteurs que nous côtoyons depuis toujours durant nos reportages, et dont nous avons eu tout le loisir de juger la pertinence – pour les enjoindre à participer à nos futurs tests d’équipement de randonnée et de voyage. En quelques jours, nous avions plus d’une centaine de personnes prêtes à collaborer à ce groupe de travail collectif. Cette ouverture à nos lecteurs prendra progressivement la place qu’elle mérite dans ce magazine. Pas plus tard que sur ce numéro, Brieuc Coessens est venu nous présenter son travail, à l’issue d’un voyage au Népal. Sa démarche était guidée par une réelle volonté d’aider ce pays meurtri. Nous l’avons invité à s’asseoir à notre table. Et à participer à notre dossier spécial « Retour au Népal » (voir page 40). La maison Grands Reportages-Trek Magazine est ouverte aux quatre vents. À nous de vous offrir cet espace nécessaire, dédié à la pertinence, à la qualité, au savoir collectif. Merci à tous de nous aider à perpétuer cet état d’esprit, numéro après numéro. Bonne lecture.