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ADAGIO MA NON TROPPO

LE VERSANT ITALIEN DU MONT BLANC S’ILLUSTRE PAR SES ARÊTES VERTIGINEU­SES QUI DÉGRINGOLE­NT VERS LA VALLÉE DE COURMAYEUR. UNE VISION RADICALEME­NT DIFFÉRENTE DU MASSIF.

- FRANCK CHARTON

Journée de misère sur le val Vény. Bourrasque­s de vent et crachin tenace transforme­nt en chemin de croix cette étape de transition. Depuis le col Chécrouit (1 956 m), on traverse au niveau de Praz Neyron des pistes de ski, avec des câbles de télésièges et de télécabine qui se croisent en tous sens au-dessus de nos têtes. En face, un jeu de moraines complique les perspectiv­es, alors que les grandes voies glaciaires et les aiguilles mythiques de l’« envers du mont Blanc » sont noyées dans la ouate. Heureuseme­nt, il n’y a qu’à se laisser glisser à travers les mélèzes jusqu’au charmant village de Dolonne (1 210 m), traverser la Doire Baltée pour gagner le centre de Courmayeur.

COURMAYEUR, CHAMONIX À L’ITALIENNE

J’en profite pour laisser passer l’orage en faisant un peu de lèche-vitrines, en allant visiter la Maison des Guides (musée de l’Histoire de l’alpinisme) et en me posant un moment au chaud dans un troquet typique du vieux village admirablem­ent bien restauré. Puisqu’il faut bien repartir, malgré l’ambiance frisquette, je traverse les hameaux de Villair – dessous et dessus – et prends le chemin du val Sapin. Peu après la traversée d’un torrent, le chemin s’élève dans la forêt de mélèzes. Au niveau de prairies vers 2 000 mètres d’altitude, alors que les vues prennent de l’ampleur sur le Val d’Aoste, apparaît le joli refuge Bertone (en hommage à un guide de Courmayeur décédé dans le massif du Mont-Blanc en 1977), au milieu d’un groupe de chalets traditionn­els. L’accueil y est chaleureux, presque familial. Nous sommes quatre nationalit­és à la table commune ce soir. Bons petits plats, staff népalais en cuisine, drapeaux à prière tibétains et photos himalayenn­es ou andines

Un balcon d’alpages nonchalant­s, face à l’écrasante muraille des Grandes Jorasses

de Grands Reportages et Trek magazine tapissant les murs, concourent à instiller une super ambiance. Dehors, un halo de lumières mauves nimbe Courmayeur d’un voile diffus, mais les étoiles scintillen­t ici ou là, un bon présage pour demain…

FACE AUX GRANDS JORASSES

Banco : grand beau à l’aube ! Le versant Brenva du mont Blanc se drape le premier de nacre rose, alors que les brumes d’humidité se dissipent en volutes : magique ! Départ la fleur au fusil, vers le mont de la Saxe, une variante incontourn­able du TMB, par ciel dégagé. Alors que le sentier « normal » traverse la crête au niveau d’une table d’orientatio­n, puis court à flanc en direction du refuge Bonatti, la variante attaque « dret dans l’pentu ». Dès la cote 2 200 mètres, le panorama devient superlatif et va crescendo au fur et à mesure qu’on prend de l’altitude et que l’« envers du massif », vu de Chamonix, se dévoile en majesté : Noire de Peuterey, mont Blanc de Courmayeur, mont Maudit, Tacul, Grands Jorasses, dent du Géant et mont Dolent, une monumental­e herse de granite dépassant les 4 000 mètres se dresse entre France et Italie !

CHEVAUCHÉE SAUVAGE

Démarre alors, pendant les deux heures qui suivent, une grande chevauchée en montagnes russes et en apesanteur, à cheval sur le fil de la tête Bernarda, de la tête de la Tronche, du col Sapin et du pas de l’EntreDeux Saux (2 524 m). Une suite de croupes

plus ou moins débonnaire­s ou étroites, plus ou moins verdoyante­s ou schisteuse­s, avec parfois, dans des creux tapissés de tourbières, des mares temporaire­s ou « gouilles », réfléchiss­ant la grande fresque alpine en toile de fond ! On entre alors dans le vallon sauvage de Malatra, sillon ample à l’intense vie pastorale. Quand on atteint les fermes d’alpage chaulées de blanc de l’Alpe supérieure de Malatra, à 2 213 mètres, on sait qu’on n’est plus bien loin du refuge Walter Bonatti, vingt minutes et deux cents mètres plus bas. Le célèbre alpiniste, himalayist­e puis photojourn­aliste transalpin, a donné son nom à un refuge spacieux, moderne et écolo, mais notre étape de ce soir nous attend encore deux heures et demie plus loin, au bout d’un splendide itinéraire en balcon sur le val Ferret italien, au milieu d’une exubérante flore de montagne et face aux Grandes Jorasses, qu’on a le loisir d’admirer sous toutes leurs coutures.

AMBIANCE REFUGE

Au niveau du vallon de la Bellecombe, une profonde entaille rocheuse cisaillant le pâturage idyllique contraint le sentier à chuter brutalemen­t, au lieu de continuer à niveau pour parvenir au refuge Elena situé peu ou prou à la même altitude. Une série de lacets descendant­s rejoint donc le plancher des vaches, à Arnouva (ou Arp-Nouva), à 1 776 mètres. Il n’y alors plus qu’à remonter les presque trois cents mètres perdus en suivant d’abord la piste, puis en coupant à travers les alpages de Pré-de-Bar, jusqu’au replat où est implanté le refuge Elena. Vaste, moderne voire cosy, ce dernier est le troisième avatar du premier abri édifié en 1937 par le père alpiniste d’une jeune fille nommée Elena, disparue accidentel­lement. La soirée sera excellente en compagnie de Laura et José, trailers-voyageurs natifs des Picos de Europa (Asturies), aussi passionnés que sympathiqu­es.

Après deux jours dans les étoiles, on quitte à regret le versant italien, ses aiguilles vertigineu­ses, ses refuges coquets et ses « pasta al dente »

EN ROUTE POUR LA SUISSE

Au petit jour, c’est sous le scalpel d’un effroyable vent glacial, que la noria des coureurs de l’UTMB (Ultra-trail du Mont-Blanc, 170 kilomètres que les premiers avalent en à peine vingt heures) enquille la bonne quarantain­e d’épingles, telles des chenilles procession­naires qui enfileraie­nt des perles, menant aux 2 537 mètres du Grand col Ferret, atteint en moins d’une heure. Ce passage, utilisé depuis l’Antiquité, fait communique­r le Val d’Aoste avec le Valais suisse francophon­e. À la borne pyramidale qui marque le col, impossible de rester plus de quelques secondes sur cette échine pelée, battue par des bourrasque­s démentiell­es, très largement en dessous de zéro degré (en plein mois d’août !). Nous y croisons néanmoins un troupeau de vaches aux sonnailles tintinnabu­lantes, qui fait le trajet inverse, monté depuis le val Ferret suisse. Ciao Italia !

 ??  ?? Cidessus, la transhuman­ce biquo dienne des vaches, en août, entre le refuge Elena et le Grand col Ferret, sur fond de mont Dolent (3 820 m).
Cidessus, la transhuman­ce biquo dienne des vaches, en août, entre le refuge Elena et le Grand col Ferret, sur fond de mont Dolent (3 820 m).
 ??  ?? Couple de trailers espagnols originaire­s des Asturies, transis à la borne sommitale du Grand col Ferret, à 2 537 m.
Couple de trailers espagnols originaire­s des Asturies, transis à la borne sommitale du Grand col Ferret, à 2 537 m.
 ??  ?? Les tourbières de la montagne de la Saxe, entre les refuges Bertone et Bona , recèlent des pe tes gouilles résiduelle­s où se mire l’envers du massif du MontBlanc.
Les tourbières de la montagne de la Saxe, entre les refuges Bertone et Bona , recèlent des pe tes gouilles résiduelle­s où se mire l’envers du massif du MontBlanc.

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